Mon boulanger a été ubérisé

Mon boulanger a été ubérisé

Une prospective-fiction pour rĂ©flĂ©chir au futur de l’ubĂ©risation. On imagine, on discute
 On agit. Pour vous, cette anticipation est probable ou non probable ? Souhaitable ou non souhaitable ?

2037. Coup de torchon dans les fournils, les boulangers sont ubérisés. En un croissant de Lune, ils passent du four au moulin de la nouvelle économie et font leur bon pain de ces bouleversements.

Chaque matin, dĂšs que j’ai les yeux ouverts, je gesticule pour ouvrir l’application Peter Pain et commander ma baguette bio-dĂ©tox et Ă©nergisante. Quelques minutes plus tard, un drone le pose sur ma table de cuisine.

Ce dispositif a été lancé quand des milliers de personnes ont investi dans des panibriquantes ou imprimantes 3D spécialisées dans la fabrication du pain.

Les panibriquantes n’ont rien Ă  voir avec les machines Ă  pain d’antan. Ces robots mĂ©nagers avaient robotisĂ© le processus artisanal de fabrication du pain, alors que les panibriquantes impriment des couches de pĂąte et effectuent une cuisson molĂ©culaire Ă  basse tempĂ©rature. Ce systĂšme est aussi rapide que souple. Le consommateur passe sa commande sur sa tablette. La machine fabrique en une minute sa baguette, sa couronne, sa miche avec la farine et les composants choisis.

La qualitĂ© du pain Ă©tant au rendez-vous, les panibriquantes se sont rĂ©pandus comme des petits pains. La start-up Peter Pain a surveillĂ© le marchĂ©. Quand un nombre suffisant de personnes possĂ©daient des panibriquantes, ils ont lancĂ© leur plateforme mettant en relation les possesseurs de panibriquantes et les consommateurs. Quand les panifabeurs ou fabricants occasionnels de pain sont disponibles, ils crĂ©ent un ou plusieurs pains en plus pour les voisins. GisĂšle, mĂšre de famille, produit chaque matin une quinzaine de baguettes : « Comme j’allume la machine pour faire du pain pour la famille, j’en fais aussi pour des personnes habitants Ă  proximitĂ©. J’amortis ainsi ma machine. »

En quelques mois, Peter Pain est devenu incontournable. Plusieurs éléments ont contribué à ce succÚs.

Le pain imprimĂ© est personnalisable. On peut intĂ©grer tous les ingrĂ©dients que l’on veut dans sa composition. Les accompagnants de personnes ĂągĂ©es ou malades peuvent y ajouter les mĂ©dicaments.

Il n’y a plus de gĂąchis. La taille de la baguette s’adapte au nombre de personnes Ă  qui elle est destinĂ©e et Ă  leur appĂ©tit. Un algorithme apprenant dĂ©finit la taille. Les pains sont livrĂ©s Ă  domicile dans un temps record. Ils sont dĂ©posĂ©s sur la plateforme de livraison express de proximitĂ©. Des drones, des cyclistes ou des marcheurs font les derniers mĂštres.

L’arrivĂ©e de Peter Pain a provoquĂ© un grand chambardement chez les boulangers.

Ils ont commencĂ© par ne pas y croire. Ils sont sortis de leur mitron pour soupirer que boulanger Ă©tait un vrai mĂ©tier et que jamais une machine ne les remplacerait. À les entendre, les baguettes rĂ©alisĂ©es par les panibriquantes n’étaient que des Ă©dulcorants de baguettes. On ne parlerait plus de cette machine dans quelques mois. D’ailleurs, c’était comme pour les pains au chocolat, il fallait faire refroidir l’idĂ©e avant de savoir si elle est bonne.

Comme Peter Pain faisait de plus en plus d’adeptes, les boulangers se sont mis Ă  tirer Ă  boulets rouges sur cette innovation. Des lobbyistes tordirent la loi pour montrer que le pain devait ĂȘtre crĂ©Ă© par des boulangers diplĂŽmĂ©s. D’autres firent courir des rumeurs d’une Ă©pidĂ©mie d’ergot de seigle provoquĂ©e par les panibriquantes.

Le boulanger Paul tenta de mettre Peter Pain dans le pĂ©trin en installant des distributeurs de pain Ă  tous les coins de rue. Ces machines servirent de dĂ©fouloirs aux boulangers agacĂ©s par l’arrivĂ©e de Peter Pain.

Pour éviter de perdre leur gagne-pain, les boulangers formés au collaboratif invitÚrent leurs clients à trouver la solution à leur problÚme.

La premiĂšre proposĂ©e fut que leurs baguettes soient gratuites. Les boulangers examinĂšrent l’économie biface initiĂ©e par des Google. Ils proposĂšrent donc des baguettes nano-pucĂ©es qui analysaient toutes les donnĂ©es de ceux qui les mangeaient. Elles n’eurent qu’un succĂšs limitĂ©. Les clients craignaient les dĂ©mangeaisons provoquĂ©es par les nano-puces.

D’autres racontĂšrent qu’ils continueraient Ă  acheter leurs baguettes si leur boulangerie devenait un lieu incontournable du quartier. On vit arriver des coboulanges oĂč l’on pouvait travailler en dĂ©gustant des croissants chauds. Puis des boulaveries (boulangerie laverie), des repboules (boulangerie qui rĂ©pare tous les objets du quotidien), des santiboules (des boulangeries oĂč l’on peut mĂ©diter, faire du sport, parler santĂ© et alimentation)
.

Le rĂ©seau Faboul se dĂ©veloppa. Son objectif Ă©tait d’aider les boulangeries Ă  attirer des clients dans leurs locaux. Il devint Cobouche lorsque les boucheries furent ubĂ©risĂ©es avec l’arrivĂ©e de l’imprimante Ă  viande.

Et dans ce tohu-bohu, des boulangers continuĂšrent Ă  faire leur pain quotidien. Ces artistes avaient tous les jours un peu plus de clients, car leurs baguettes Ă©taient rares et excessivement chĂšres. Leurs clients n’achetaient plus un kilo de pain, mais la part de l’ñme de celui qui l’a produit ou plus prosaĂŻquement l’histoire racontĂ©e.

Ce grand choc de la boulange fit comprendre aux boulangers et autres fabricants de biens matĂ©riels que tous les secteurs peuvent ĂȘtre ubĂ©risĂ©s. MĂȘme les formes d’organisation qu’on prend pour immuables peuvent disparaĂźtre. Ils comprirent que face Ă  cette tornade, ils n’avaient qu’une alternative : s’adapter ou mourir.

Depuis, la devise des boulangers est devenu :

« Quand on rentre dans le moule, on devient vite tarte, quiche, flan
 »

Prospective-fiction, l’homme au centre du jeu

Prospective-fiction, l’homme au centre du jeu

Une série en trois épisodes

Épisode 2 : Au cours de l’épisode 1, on a dĂ©couvert que la place qu’occupe la prospective-fiction dans la prospective. On avance d’un pas pour explorer ses diffĂ©rents usages.

Pour Ă©viter les propos longs comme un jour sans amour, je vous propose d’illustrer ces usages par des exemples.

Traduire, démystifier, faciliter la compréhension

L’épisode 1 a dĂ©marrĂ© avec l’expression : « le futur a la cĂŽte ». Je reprends la formule en disant : le jargon a la cĂŽte dans tous les milieux professionnels ! On crible ses propos d’acronymes et autres perturbateurs de comprĂ©hension pour discuter entre pairs et Ă©loigner les blancs-becs. Les startupers et autres faiseurs du futur ont leur novlangue. Elle Ă©vite qu’un nĂ©ophyte lĂšve le doigt pour dire : « Vous ne croyez pas que si vos big data et vos rugissantes technologies donnent du sens Ă  votre vie, elles vous font aussi perdre le bon sens. ». À partir de cette digression, on a compris que le premier intĂ©rĂȘt de la prospective-fiction est de traduire des problĂ©matiques a priori compliquĂ©es en rĂ©cits simples. En deux coups de cuillĂšres Ă  mots trempĂ©es parfois dans un peu d’humour, on passe de discours techno-machistes incomprĂ©hensibles pour les non-initiĂ©s Ă  des approches accessibles.

Commande de pizza

Il faut vraiment ĂȘtre restĂ© depuis quelques annĂ©es la tĂȘte dans le sable pour ne pas avoir entendu des « grosses donnĂ©es » ou « big data ». Mais, mĂȘme s’ils ne sont pas des autruches, les nĂ©ophytes ont du mal Ă  comprendre comme le flot de 0 et 1 va transformer la vie quotidienne. Le dĂ©clic se fait immĂ©diatement en racontant la commande de pizza dans le futur.

Provoquer des dĂ©bats, favoriser l’émergence de diffĂ©rents points de vue

La prospective-fiction jette des pavĂ©s dans la marre pour que la problĂ©matique Ă©clabousse et qu’on ne puisse plus l’ignorer. Le principe est de l’aborder de maniĂšre lĂ©gĂšre et un peu dĂ©calĂ©e pour favoriser des dĂ©bats de fond faisant Ă©merger diffĂ©rentes visions. En clair comme les Ă©changes ne sont pas plombĂ©s par des experts qui font passer leurs visions du futur pour des certitudes, les Ă©changes sont plus riches.

Quand il y a des gÚnes, il y a à réfléchir

CrisprCas9 est le nouveau couteau suisse de la gĂ©nĂ©tique. Conçu par la Française Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, il rĂ©volutionne la manipulation gĂ©nĂ©tique. Avec lui, modifier l’ADN est de n’importe quelle espĂšce, y compris chez l’homme devient un jeu d’enfant. Est-ce que demain on aura des lapins fluorescents, des poules roses, des HGM (humains gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s) ? Quant la technologie rend possible ce qui Ă©tait avant impossible, il convient de dĂ©battre avant qu’il ne soit trop tard.

Le Pink chicken projet imagine que les poules seront roses fluo.

Dans « GĂšnes Ă©goĂŻstes Â», je m’interroge sur l’avenir du couple. Comment cela se passera-t-il lorsqu’il pourra programmer son enfant ? Le sujet est sĂ©rieux, l’approche est ludique
 Le dĂ©calage fait rĂ©agir.

Humaniser l’innovation

Nous vivons une pĂ©riode de transition. Nous sommes en train de passer d’une situation stable Ă  une autre. Ce passage est un moment chaotique. La stabilisation s’effectuera en faisant Ă©merger des innovations qui seront la charpente de nouvelles organisations. Dans ce contexte, il est logique que les entreprises se soient engagĂ©es dans une course effrĂ©nĂ©e Ă  l’innovation. Mais dans leurs emballements, elles se focalisent sur les innovations technologiques et oublient un peu, voire beaucoup, que c’est surtout l’homme qui ferra le monde de demain. En projetant ces innovations dans des futurs quotidiens, on envisage leurs aspects Ă©thiques, culturels, sociaux et remet les futurs usagers, donc l’homme, au centre des prĂ©occupations.

Sécurité totalitaire

Dans un climat de crainte d’attaques terroristes, la reconnaissance faciale a le vent en poupe. Mais, elle fonctionne qui si on ne sourit pas. Va-t-on aller jusqu’à nous interdire de sourire ?

Ne souriez pas, vous ĂȘtes filmĂ©s

Réalité augmentée ou diminuée

La réalité augmentée ajoute des informations à ce que nous envoyons. Dans ce cas, nous pouvons aussi envisager la réalité diminuée. On se pose alors la question de ce que nous ne voulons pas voir.

 

NB : Vidéo intéressante découverte sur Facebook. Je ne connais pas les auteurs.

Inventer de nouveaux produits et services

L’imagination est la meilleure compagnie de transport du monde. Cette ressource est inĂ©puisable, recyclable est permet de faire de dĂ©couvrir des territoires inexplorĂ©s.

Lorsqu’on effectue des ateliers de prospective-fiction, on ne dĂ©termine pas une date pour le futur. Le futur c’est dans 10 ans, 20 ans, 30 ans
 La consigne est qu’on se projette dans un temps oĂč les freins du prĂ©sent n’existent pas. Ce sera donc plus 2040-2050 pour l’immobilier et 2025-2030 pour des avocats. Cette libertĂ© assouplit les neurones et favorise l’imagination. RĂ©sultat, je suis toujours Ă©tonnĂ©e de la performance des idĂ©es.

Edison disait : « Le gĂ©nie c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration ». La prospective-fiction contribue Ă  ce 1% d’inspiration. En revanche, elle n’est pas du tout adaptĂ©e pour les 99% de transpiration.

Catalogue d’idĂ©es

S’appuyer sur les innovations existantes pour faire imaginer un catalogue de produits existants est un superbe exercice. Le rĂ©sultat est souvent assez exceptionnel.

Ikea l’a fait.

Manager

Depuis quelques annĂ©es, le PDG d’Amazon Jeff Bezos a interdit les prĂ©sentations PowerPoint Ă  ses employĂ©s. Pour lui, elles favorisent l’impasse sur des concepts essentiels, aplanissent les niveaux d’importance et ignorent les interconnexions entre les idĂ©es. Il les oblige Ă  faire des mĂ©mos. La structure narrative force Ă  rĂ©flĂ©chir de maniĂšre plus intelligente. C’est exactement la mĂȘme chose avec la prospective-fiction. On n’enferme pas la pensĂ©e dans un carcan servant des platitudes, on lui laisse les moyens de s’exprimer.

La prospective-fiction est aussi devenue un mode de management pour certaines entreprises amĂ©ricaines. Le CIO balance des visions fictionnelles de l’avenir et aprĂšs les collaborateurs doivent ramer pour que sa fiction devienne rĂ©alitĂ©.

Jeff Bezos excelle dans l’exercice. En 2013, il crĂ©e le buzz avec Amazon Prime Air, un service utilisant des mini-drones pour acheminer des colis en une demi-heure. Depuis, ses Ă©quipes planchent sur l’affaire.

Mais, le grand artiste du management en mode prospective-fiction est incontestablement Elon Musk, PDG de Tesla.

Il assure sa notoriĂ©tĂ© en balançant des visions dĂ©capantes pour le futur de l’automobile : « Presque toutes les voitures qui seront produites dans dix ans seront autonomes. Dans 20 ans, les voitures n’auront plus de volant ». Ou en rendant la conquĂȘte spatiale comme inĂ©luctable : « Je pense qu’il y a vraiment deux chemins fondamentaux. L’Histoire est en train de bifurquer dans deux directions. Un chemin est que nous restions sur Terre pour toujours, avec l’Ă©ventualitĂ© qu’un Ă©vĂšnement d’extinction survienne. […] L’alternative est de devenir une civilisation spatiale et une espĂšce multiplanĂ©taire qui, j’espĂšre, vous convient comme chemin Ă  parcourir » explique-t-il en prĂ©cisant qu’il dĂ©veloppe un lanceur et une capsule capable de transporter des dizaines de passagers et une cargaison vers Mars.

En rĂ©sumĂ©, la prospective-fiction est comme Crispr-Cas9 un couteau suisse (Allusion pour vĂ©rifier que vous avez bien lu tous mes propos ! Sourires). Elle permet de traduire le jargon en histoires accessibles au plus grand nombre, provoquer des vrais Ă©changes, imaginer des produits et services dĂ©capants, manager et de remettre l’homme au centre des prĂ©occupations lorsqu’on rĂ©flĂ©chit au futur. Vu que l’affaire ne peut que vous sĂ©duire, je vous invite dans l’épisode Ă  aller regarder sur le capot. Je vous prĂ©senterai quelques ficelles qui vous aideront Ă  mettre la prospective-fiction au service de vos objectifs.

Ne souriez pas, vous ĂȘtes filmĂ© !

Ne souriez pas, vous ĂȘtes filmĂ© !

La vidĂ©o-surveillance et la reconnaissance faciale ont la cote. Dans cette prospective-fiction, on imagine que demain cela sera une prioritĂ© d’identifier chaque individu.

2033. Le parlement a acceptĂ© le DSG (DĂ©lit de souriante gueule) sanctionnant les personnes qui sourient dans les lieux publics. Des manifestants s’opposent Ă  cette mesure qui a pour but de faciliter l’identification par les camĂ©ras de surveillance.

Des centaines de personnes ont manifestĂ© devant la Chambre des dĂ©putĂ©s pour protester contre l’interdiction de sourire dans les lieux publics. L’ambiance Ă©tait Ă  la dĂ©termination : « Le rire est le propre de l’homme, nous ne pouvons pas accepter une loi qui nous transforme en bĂȘtes », hurle un jeune homme. « Le sourire est ce qui illumine le visage. Je n’ai pas envie de vivre lumiĂšre Ă©teinte et de passer ma vie Ă  broyer du noir », ajoute une jeune femme en affichant un large sourire bientĂŽt criminel.

Une autre manifestante s’est positionnĂ©e devant une camĂ©ra de surveillance en disant : « Mireille S. spĂ©cialiste de ce sourire en coin qui dĂ©stabilise l’ordre Ă©tabli. Je suis Ă©conome. Je prĂ©fĂšre prĂȘter Ă  sourire que donner Ă  rĂ©flĂ©chir ». AprĂšs cette entrĂ©e en matiĂšre, le ton de la jeune femme a changé : « Le dĂ©lit de souriante gueule est passible de trois mois d’emprisonnement. On risque donc de passer quelques mois derriĂšre les barreaux parce qu’on tombe amoureux et que l’on ne peut pas s’empĂȘcher de montrer son affection. Ou tout simplement parce qu’on Ă©change avec son bĂ©bĂ©. Avec cette loi, c’est notre humanitĂ© qui est visĂ©e. Le gouvernement veut nous transformer en robots. »

L’interdiction de sourire dans les lieux publics rĂ©pond Ă  un problĂšme technique : le sourire dĂ©forme les traits du visage. Cette altĂ©ration des traits empĂȘche le bon fonctionnement du systĂšme de reconnaissance des personnes. Quand les personnes sourient, on enregistre 10 % d’erreur. Une personne sur dix n’est pas reconnue. Cette dĂ©faillance de la technologie est ancienne. DĂ©jĂ  au dĂ©but du siĂšcle, on ne devait pas sourire sur la photo de son passeport pour la mĂȘme raison.

Cette mesure a Ă©tĂ© prise Ă  la suite de la sĂ©rie d’attentats dans les aĂ©roports et les gares. Depuis janvier, cinq explosions ont dĂ©truit des installations informatiques dans ces lieux publics. Ils ont Ă©tĂ© revendiquĂ©s par le CLACSIN  (ComitĂ© de lutte des agacĂ©s contre la surveillance intrusive numĂ©rique) qui s’oppose Ă  cette surveillance permanente des faits et gestes de chacun.

La presse a qualifiĂ© le dĂ©cret de rageur. Le gouvernement ne supportait pas que des petits rigolos les narguent et leur montrent que leurs faramineux investissements dans la vidĂ©osurveillance s’avĂ©raient inutiles. Pour Anatole Foncera, dĂ©putĂ© de l’opposition, c’est le glas qui sonne leur dĂ©faite : « Au lieu d’entamer un dialogue avec le CLACSIN et par son intermĂ©diaire avec les citoyens, le gouvernement a prĂ©fĂ©rĂ© engager un bras de fer. On va donc utiliser encore plus de technologies pour traquer ceux qui s’opposent Ă  cette surveillance. On a l’impression qu’ils n’ont toujours pas compris que, comme disait Einstein, on ne peut pas rĂ©soudre un problĂšme avec le mode de pensĂ©e qui l’a crĂ©Ă©. »

CĂŽtĂ© CLACSIN, l’ambiance est Ă  la fatalitĂ©. Samuel Muller, le prĂ©sident, pense que le gouvernement va continuer Ă  promulguer des interdits surrĂ©alistes. Selon lui, la prochaine interdiction concernera l’usage des bombes insecticides dans les lieux publics.

Depuis quelques mois, les organismes de sĂ©curitĂ© utilisent des moucharobots ou mouches robotisĂ©es et tĂ©lĂ©commandĂ©es pour effectuer leur surveillance. Les moucharabots se confondant avec les mouches, nombreuses personnes utilisent lors des manifestations des bombes insecticides. Deux solutions, ou l’objet volant est un insecte et il est tombe raide morte ou c’est un robot-espion et le liquide obscurcit les lentilles et rend impossible la surveillance.

Dans le mĂȘme esprit, ils pourraient aussi interdire les chapeaux Ă  larges bords qui empĂȘchent les ciĂ©lateurs (camĂ©ra satellitaire qui espionne les faits et gestes) de nous identifier.

Si jusqu’à maintenant la technologie donnait du sens Ă  la vie de ses adeptes et en mĂȘme temps leur faisait perdre le bon sens, il semble maintenant que ce sont les politiques qui perdent le Nord.

Nous sommes tous sous surveillance

 

Thierry Vendetta, auteur de : « Nous sommes tous sous surveillance » Ă©voque la montĂ©e en puissance de la vidĂ©osurveillance.

 

Lors de votre derniĂšre chatterie tĂ©lĂ©visĂ©e, vous avez dit : « Avec la vidĂ©osurveillance, nous sommes tous enfermĂ©s dans une prison panoptique oĂč nos pires matons sont nos proches. » Pouvez-vous expliciter votre idĂ©e ?

 

Le panoptique est un mot ancien qui dĂ©signe un bĂątiment carcĂ©ral en anneau avec au centre une tour. Le panoptique a Ă©tĂ© imaginĂ© au 18e siĂšcle par JĂ©rĂ©my Bentham. L’objectif de cette structure est de permettre aux matons d’observer tous les prisonniers. Comme les dĂ©tenus ne peuvent savoir si le regard est ou non braquĂ© sur eux, cela crĂ©e chez eux un « sentiment d’omniscience invisible ». Avec le principe panoptique, on garde sur les trois fonctions du cachot (enfermer, priver de lumiĂšre et cacher) que la premiĂšre. La pleine lumiĂšre et le regard d’un surveillant captent mieux que l’ombre, qui finalement protĂšge. La visibilitĂ© est donc un piĂšge. Au siĂšcle dernier, le philosophe Michel Foucault affirma que le danger de cette structure est d’induire chez le dĂ©tenu un Ă©tat conscient et permanent de visibilitĂ© qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Selon lui, avec de tels systĂšmes, il n’était pas nĂ©cessaire d’avoir recours Ă  la force pour contraindre le condamnĂ© Ă  la bonne conduite, le fou au calme, l’ouvrier au travail…

La vidĂ©osurveillance a progressivement mis en place un systĂšme panoptique en multipliant les camĂ©ras. Aujourd’hui plus de la moitiĂ© du territoire est sous surveillance numĂ©rique. Alors qu’il y a encore une quinzaine d’annĂ©es, on pouvait se balader tranquillement dans les bois, aujourd’hui il y a des camĂ©ras sur tous les sentiers frĂ©quentĂ©s. Ces camĂ©ras sont en prime proactives. Si elles dĂ©tectent quelque chose d’anormal, elles dĂ©clenchent une alarme. Le tout est de savoir ce qui est normal et ne l’est pas. S’embrasser, sourire dans un sous-bois est-il normal ou pas ? La question Ă©tant complexe, on y rĂ©pond en considĂ©rant que le normal est ce que fait la majoritĂ© des gens. Il faut donc faire comme tout le monde, ĂȘtre un mouton si l’on ne veut pas ĂȘtre ennuyĂ©.

À cette surveillance publique, il faut ajouter la surveillance privĂ©e. Alors qu’hier on demandait aux gens s’ils acceptaient qu’on les filme ou les prenne en photos, aujourd’hui on n’a mĂȘme plus l’idĂ©e de poser la question. Au boulot, dans le mĂ©tro, Ă  la maison, on vous filme et vous vous retrouvez en quelques secondes sur le Net. Ce voyeurisme gĂ©nĂ©ralisĂ© est un puissant destructeur de vie. Pas plus tard que la semaine derniĂšre, une jeune femme a vu sa vie ruinĂ©e parce qu’elle mettait ses doigts dans le nez. Les images ont circulĂ© Ă  la vitesse de la lumiĂšre sur le Net. RĂ©sultat, pour Ă©viter de subir ce sort, on s’autocontrĂŽle de plus en plus.

Heurts et bonheurs de l’entreprise heureuse

Une prospective-fiction pour rĂ©flĂ©chir au bonheur dans l’entreprise. On imagine, on discute… On agit.
Pour vous, cette anticipation est probable ou non probable ? Souhaitable ou non souhaitable ? A vos réponses.

Heurts et bonheurs de l’entreprise heureuse

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Nous sommes en 2037. L’entreprise heureuse a pour finalitĂ© de fournir du bonheur et une vie joyeuse et saine Ă  ses collaborateurs. Arthur Getz, le patron de FĂ©licity, raconte les alĂ©as inhĂ©rents Ă  ce changement de cap dans son entreprise.

Dans son livre « L’entreprise heureuse », Arthur Getz annonce d’entrĂ©e de jeu qu’il a surfĂ© sur la vague du bonheur en entreprise qui dĂ©ferlait depuis une quinzaine d’annĂ©es.

En 2016, on voit l’arrivĂ©e des responsables du bonheur en entreprise ou plutĂŽt Chief Happiness Officier. La dĂ©nomination anglophone donne un peu de sĂ©rieux Ă  ces animateurs de gouters. Ces chantres du bien-ĂȘtre vendent des dĂ©cors colorĂ©s, des espaces de sieste et des tables de ping-pong. Les plus aventureux militent pour que les collaborateurs retrouvent leurs Ă©motions d’enfants avec des salles de rĂ©union en Lego, des petites voitures Ă  pĂ©dales et des toboggans.

En 2022, cette cosmĂ©tique de l’enchantement provoque des dĂ©bats philosophiques de cantine. Face Ă  l’engouement, les dĂ©tracteurs affirment que le bonheur rĂ©siste dans la capacitĂ© de chacun Ă  dĂ©guster l’instant. L’extase se produit lorsque la pensĂ©e, les paroles et les actes d’un individu sont en harmonie. L’entreprise n’a donc rien Ă  voir avec cette aventure individuelle. Selon Arthur Getz, les pourfendeurs du bonheur en entreprise rĂ©sument leur opposition en considĂ©rant que «  Le bonheur est une question trop importante et trop personnelle pour que l’individu en confie la responsabilitĂ© Ă  d’autres, et notamment Ă  son entreprise ».

Pendant ce temps, les patrons se frottent les mains. «  Disserter sur le sujet confĂšre au bonheur en entreprise une valeur assez forte pour pouvoir en son nom en demander encore plus aux collaborateurs », explique Arthur Getz en prĂ©cisant qu’au nom du bonheur, ils piĂ©tinent allĂ©grement la vie privĂ©e de leurs collaborateurs. Pour eux, cet humanisme bon teint est une source de performance Ă©conomique. AprĂšs avoir tirĂ© sans rĂ©serve sur les prix, les coĂ»ts, les hommes, ils voient lĂ  un nouveau gisement de productivitĂ©. Autre avantage, les dĂ©penses en « dĂ©co » bien-ĂȘtre sont vite amorties par une diminution sensible de l’absentĂ©isme.

C’est dans ce climat qu’Arthur Getz, le patron de Felicity, jette un pavĂ© dans la marre avec l’entreprise heureuse. En janvier 2031, le fils d’un penseur de l’entreprise libĂ©rĂ©e invite Aristote Ă  un mĂ©morable HolloNote[1]. Le philosophe de l’antiquitĂ© rĂ©pĂšte que : « Le bonheur est le bien suprĂȘme qui rend nĂ©gligeable toutes autres formes de possession. » Le patron dĂ©crĂšte ensuite que la finalitĂ© de son entreprise n’est plus Ă©conomique, mais est dĂ©sormais de donner une vie heureuse et saine Ă  ses collaborateurs. Gagner de l’argent devient juste un moyen comme un autre de contribuer au bonheur des collaborateurs.

Lors de l’évĂ©nement, Arthur Getz accueille ensuite Robert Kennedy. Le sĂ©nateur amĂ©ricain affirme que : « Le produit national brut mesure tout sauf ce qui donne valeur Ă  la vie. » Pour Ă©viter cet Ă©cueil, le Patron de FĂ©licity lance le BIB (Bonheur intĂ©gral brut). Cet indicateur mesure le bonheur collectif. À cause de phĂ©nomĂšnes naturels de contagion de bonheurs, le BIB est supĂ©rieur Ă  la somme des bonheurs individuels. Il est aussi pondĂ©rĂ© par une variable de possession qu’Arthur Getz explique par le fait que : « Le bonheur est la seule chose qu’on peut donner sans l’avoir et acquĂ©rir en le donnant. »

Pour mesurer le bonheur individuel, il envisage plusieurs dispositifs. Le premier est le dĂ©claratif. Chaque collaborateur doit indiquer chaque jour son niveau de bonheur sur une Ă©chelle de 1 Ă  10. Si le premier mois, tous prennent un temps pour s’interroger, ils finissent par opĂ©rer machinalement et rĂ©pĂ©ter le mĂȘme chiffre.

Felicity investit alors dans un systĂšme d’intelligence artificielle apprenant de reconnaissances de sourires. Au bout d’un mois, c’est le branle-bas dans l’entreprise. Nombreux collaborateurs ne supportent plus de croiser des momies aux zygomatiques tenus par des Ă©lastiques. Ils ont mĂȘme des envies de refaire le portrait des forçats du sourire.

Arthur Getz tente alors de mesurer le bonheur par la dĂ©tection des propos positifs dans les Ă©changes verbaux et Ă©crits entre les collaborateurs. Cela tourne rapidement au « bisounoursage » gĂ©nĂ©ralisĂ© avec Ă©changes de propos loukoum, sucrĂ©s et dĂ©goulinants de miĂšvreries. Quand des attaques anonymes commencent Ă  polluer l’entreprise, Arthur Getz effectue un nouveau HolloNote oĂč il affirme : « Le bonheur n’est pas une affaire quantitative. Il rĂ©sulte de la capacitĂ© de chacun Ă  se soucier des autres, oser pour les autres, partager avec les autres. » La pirouette est bien accueillie. Les collaborateurs sont trop heureux de pouvoir garder des sourires pour se moquer des jours sans joie.

[1] HolloNote : Keynote avec projections holographiques permettant aux intervenants d’ĂȘtre prĂ©sent Ă  plusieurs endroits et d’échanger avec des personnes disparues.

ParallĂšlement au BIB, Arthur Getz change les procĂ©dures de recrutement. La prioritĂ© est d’engager des gens douĂ©s pour le bonheur. Cette disposition n’étant pas validĂ©e par des diplĂŽmes, ils font appel Ă  la science. Comme elle ne certifie pas la capacitĂ© au bonheur de ceux qui possĂšdent les dents du bonheur[1], ils se tournent vers la gĂ©nĂ©tique. Elle affirme que la capacitĂ© au bonheur est liĂ©e Ă  50 % au patrimoine gĂ©nĂ©tique sans pour autant identifier les gĂšnes du bonheur.

Des collaborateurs montent alors au crĂ©neau pour dire que ne recruter que des gens heureux est une forme de discrimination. Si la capacitĂ© au bonheur devient un critĂšre de recrutement, on va vers une sociĂ©tĂ© Ă  deux vitesses. On aura des heureux de plus en plus heureux et des malheureux de plus en plus malheureux, car ils n’auront pas de travail. On ne peut donc pas exclure ceux qui ne sont pas douĂ©s pour le bonheur et qui mĂȘme, mettent une jouissance Ă  faire leur propre malheur. Il en est de mĂȘme de ceux qui n’ont pas Ă©tĂ© bien servis par la vie et ne font pas preuve de rĂ©silience. Ils affirment en plus que c’est pratiquer la double peine parce que les individus malheureux sont souvent tristes de ne pas ĂȘtre heureux.

Un peu Ă©chaudĂ© par ces oppositions, Arthur Getz demande Ă  ses collaborateurs quelles sont les composantes du bonheur incontournables pour l’entreprise heureuse. Outre la santĂ©, la sĂ©curitĂ© financiĂšre, ils insistent sur la libertĂ© et le pouvoir dĂ©cision. Le patron dĂ©cide donc de permettre aux salariĂ©s de l’entreprise de travailler quand ils veulent, comme ils veulent, avec qui ils le dĂ©sirent. La seule contrainte est qu’ils soient vraiment heureux dans ce qu’ils font.

Le ratio habituel de ceux qui ne jouent pas le jeu est respectĂ©. Entre 2 et 5 % des collaborateurs deviennent des lĂ©zards qui, dans le meilleur des cas, viennent profiter des terrasses de l’entreprise pour se dorer la pilule. Les autres ont profitĂ© pleinement du dĂ©salignement de leur travail pour collaborer, voyager, dĂ©couvrir, innover. TrĂšs rapidement, l’entreprise fait des rĂ©sultats assez satisfaisants pour rĂ©munĂ©rer tous les collaborateurs et assurer sa pĂ©rennitĂ©. Le PDG de Felicity en tire une premiĂšre conclusion : « Pour travailler dans le bonheur, travaillons chaque jour notre bonheur ».

Alors que les propos manquent cruellement de consistance voire d’intelligence, ils font sortir de l’ombre des collaborateurs nourris Ă  un syndicalisme surannĂ©. Ils partent Ă  l’attaque en affirmant que la prioritĂ© au bonheur pousse Ă  l’égoĂŻsme et supprime toutes formes d’altruisme. Ils estiment que cela enlĂšve la possibilitĂ© d’ĂȘtre malheureux par choix. Ils citent des personnages comme Nelson Mandela qui a passĂ© 27 ans en prison pour lutter contre l’apartheid, JĂ©sus qui a Ă©tĂ© crucifiĂ© pour sauver le monde. Pour eux, le malheur des uns peut aussi faire le bonheur des autres. D’autres opposants Ă  l’entreprise bonheur considĂšrent que le malheur est souvent un pont vers le bonheur. On a conscience d’ĂȘtre heureux parce que l’onconnaĂźt le malheur. Ils estiment aussi que l’homme vaut bien mieux que son bonheur.

Arthur Getz prend alors conscience qu’en Ă©rigeant en norme le fait d’ĂȘtre heureux au travail, il devient impossible de dire ou montrer qu’on ne l’est pas. Il rĂ©agit en parlant dĂ©sormais d’entreprise respectueuse. Dans cette entreprise, on respecte la diversitĂ© des approches. Le bonheur n’est plus un mets obligatoire, mais il est en libre-service et chacun peut l’amĂ©nager Ă  sa sauce.

[1] Dents écartés

Vachement connectés !

Vachement connectés !

A VOS CLAVIERS

Le marchĂ© des objets connectĂ©s en santĂ© explose. On dĂ©nombre aujourd’hui 15 milliards d’objets connectĂ©s (balances, montres, bracelets. On devrait en compter 50 Ă  70 milliards en 2030. Est-ce que cette surveillance permanente ne va pas pour autant gĂ©nĂ©rer une nouvelle hypocondrie ? Est-ce qu’on sera malade des stress causĂ©s par la fluctuation de nos paramĂštres ? AprĂšs avoir lu « Vachement connectĂ©s », imaginez une autre histoire qui raconte l’usage des outils connectĂ©s santĂ© en 2030.

Et si demain, nous souffrions d’hypocondrie !

Phil porte en permanence une vingtaine d’objets connectĂ©s pour surveiller sa santĂ©. Si avec cette quincaillerie les vaches sont bien gardĂ©es, l’homme est bien angoissĂ©. Heureusement, son mĂ©decin a le remĂšde miracle.

Avant que les vaches soient exterminĂ©es pour cause de pollution provoquĂ©e par leurs flatulences, elles donnaient du lait aux humains. Ils le mettaient dans le rĂ©frigĂ©rateur et ils avaient toujours une grand-mĂšre pour dire : « Le lait prend toujours le goĂ»t des aliments qui l’avoisine. » Et il y avait toujours un dĂ©sƓuvrĂ© qui traĂźnait dans le coin et qui maugrĂ©ait : « Les humains, c’est pareil. Ils dĂ©teignent toujours l’un sur l’autre. »

C’est le cas de Zabou et Phil. Ils ont tellement pris le goĂ»t de l’autre que parfois ils se demandent si l’autre ne manque pas de goĂ»t. C’est surtout le cas quand cet autre passe en boucle ses obsessions :
— J’ai eu mon rendez-vous avec le Docteur Muller, bafouille Phil.
— Humm, rĂ©pond Zabou. Sur ce sujet a toujours le comportement de la Vache qui ne rit pas, mais qui se contente d’avoir des rĂ©ponses qui peuvent se rĂ©pliquer Ă  l’infini.
— Il ne comprend pas pourquoi j’ai pris 136 g en une semaine. Pas normal. J’ai fait une moyenne de 10 126,2 pas, soit 46 de plus que la semaine prĂ©cĂ©dente.
— Une simple erreur de calcul, dit Zabou. — Ce n’est pas possible. Bracelets, tatouages, sous-vĂȘtements, casquette, oreillettes, montre, bagues, chaussures, lunettes, semelles
 J’ai en permanence au moins 10 objets connectĂ©s sur moi.
— Toutes ces puces ne te dĂ©mangent pas ? demande Zabou qui n’est jamais en reste d’une analogie animale.
— Madame a l’humour qui gratte ! Pour ta gouverne, j’ai aussi des pilules dĂ©tectrices de cancer, de maladie d’Alzheimer, de Parkinson et des analyseurs de larmes.
— Ciel, j’ai Ă©pousĂ© une quincaillerie ambulante !

Zabou sourit. MĂȘme si elle a parfois l’humour un peu vache, elle aime surtout voir Phil brouter son herbe et ruminer longuement. Il le prend son temps avant d’affirmer.
— J’ai failli mourir cette semaine.
— Encore ? Depuis que tu trimballes tes breloques connectĂ©es, tu meurs presque tous les jours. Raconte.

ExcĂ©dĂ© par l’insolente lĂ©gĂšretĂ© de sa femme, Phil ajoute un temps de rumination avant de s’aventurer dans son rĂ©cit.
— Lundi, comme tous les matins, le miroir me demande de lui cracher dessus. Au lieu de me dire que je suis le plus beau, il m’annonce que j’ai une maladie nommĂ©e Trairarus. Je m’inscris sans attendre sur la plateforme d’urgence sanitaire et j’ouvre la fenĂȘtre pour qu’un drone-ambulance vienne me chercher. Je vois alors un message s’afficher « Les miroirs connectĂ©s de la marque AlmaRecord ont Ă©tĂ© hackĂ©s. Effectuez une contre-analyse. »
— Tu as paniquĂ©.
— Pas du tout, s’esclaffe Phil. J’ai donc Ă©tĂ© crachĂ© sur le miroir de ma mĂšre
 Il m’a dit que j’avais mauvaise haleine.
— Le miroir de ta mĂšre rĂ©flĂ©chit bien !
— Depuis, je suis angoissĂ©. Je dors mal. J’ai dormi 11 minutes 23 secondes de moins que la semaine derniĂšre, rĂ©pond Phil avec le regard de la vache qui n’a plus de queue pour Ă©loigner les mouches.
— Donc, tu as demandĂ© Ă  Muller de te prescrire une nanopilule qui rĂ©gule le sommeil
— Comment le sais-tu ?
— Elle manque à ton attirail !

Hier, les vaches avaient deux estomacs. Un pour tout de suite, l’autre pour plus tard. Phil a adoptĂ© le mĂȘme systĂšme pour son cerveau. En attendant de digĂ©rer l’information, il regarde sa femme, sourit, ouvre la bouche, la referme, l’ouvre.

— Il avait mieux. Il m’a proposĂ© un dispositif qui vient de passer les essais cliniques.

— L’avantage, avec toutes les nouveautĂ©s que tu avales, c’est que tu pourras vendre ton corps au musĂ©e de la santĂ©.

— Justement, cela ne s’avale pas. Et, je ne vais plus avoir besoin de tous mes bracelets, tatouages et mĂȘme du miroir connectĂ©.

— La rĂ©volution ? C’est quoi ce produit miraculeux.

— C’est un hypocondreur[1]. Cela se prĂ©sente sous forme d’une grosse gĂ©lule en mousse naturelle qu’on garde dans sa poche. Quand on sent un lĂ©ger malaise, on la malaxe.

— J’imagine que ta boule de mousse est remplie de nanoparticules connectĂ©es.

— Pas du tout. Elle est en mousse naturelle qui Ă©vite les ondes nocives.

— Comment suis-tu tes paramùtres ?

— C’est lĂ  toute la performance de l’hypocondreur. On n’a plus besoin de les suivre. AprĂšs quelques jours d’acclimatation, on se sent beaucoup plus dĂ©tendu et l’on dort mieux. Le docteur Muller m’a dit que dans 15 jours, je ne jurais plus que par l’hypocondreur.

La vache ! pense Zabou. Il est vraiment trùs fort le Docteur Muller. Il a toujours dans sa panse doctorale des traitements qui permettent de regarder tranquillement passer les trains du progrùs.

[1] Hypocondreur est un mot de demain qui vient d’hypocondrie, anxiĂ©tĂ© obsessionnelle Ă  propos de sa santĂ©.

DISCRIMINETTES

Les discriminettes sont des lunettes augmentées de parité et égalité professionnelle. Grùce à la rugissante technologie, elles suppriment les discriminations entre les hommes et les femmes.

Les prĂ©visions tombent et font mal Ă  notre sens profond de l’égalitĂ©. Le forum Ă©conomique et social affirme qu’il faudrait vivre encore en apnĂ©e pendant 170 ans avant d’atteindre la paritĂ© hommes et femmes au travail. La ministre Najat Vallaud-Belkacem nous fait frissonner en constatant que le nombre de femmes qui poursuivent des Ă©tudes scientifiques dĂ©croit : « À ce rythme, il faudra attendre 2080 pour atteindre la paritĂ© entre chercheurs et chercheuses au CNRS et sciences dures, et 2075 pour les Ă©coles d’ingĂ©nieures », dit-elle. Pour Ă©viter de subir cette Ă©ternitĂ©, il faut agir au plus vite avec tous les moyens disponibles. Si on met en Ɠuvre des quotas, des lois, la lutte contre les discriminations manque un peu d’imagination. Pourquoi pas, par exemple utiliser la technologie dans sa version intelligente et utile et l’humour pour combler le fossĂ© entre les sexes ? Quelques saltos cĂ©rĂ©braux plus tard, les discriminettes sortent des limbes de quelques esprits fĂ©minins bien agitĂ©s. Ces lunettes augmentĂ©es de paritĂ© et Ă©galitĂ© professionnelle vont utiliser tous les artifices de la rugissante technologie pour:

  • Supprimer les disparitĂ©s de salaires entre les hommes et les femmes.
  • Égaliser les chances professionnelles.
  • Supprimer les stĂ©rĂ©otypes et massacrer le sexisme ordinaire.
  • AmĂ©liorer la visibilitĂ© des femmes


Pour Ă©laborer ces discriminettes, tous ceux (femmes et hommes) qui veulent une paritĂ© professionnelle hommes et femmes sont appelĂ©s Ă  contribuer. Ils peuvent ajouter une fonction, modifier les fonctions initiales, renommer l’objet, le dessiner, commencer Ă  crĂ©er un prototype.

Mode d’emploi

Vous enfilez les lunettes. Une ou plusieurs fonctions sont automatiquement activĂ©es.  Les discriminettes sont autoapprenantes. Elles disposent d’algorithmes qui s’enrichissent en fonction du pathos sexiste du porteur. Si les discriminettes sont destinĂ©es en prioritĂ© aux hommes, elles peuvent aussi ĂȘtre portĂ©es par les femmes. Certaines comprennent alors qu’elles cautionnent un sexisme trop ordinaire. D’autres crĂ©ent de nouvelles fonctions favorisant la suppression des discriminations.

1. Discrinotron

Permis Ă  points de non-discrimination GrĂące aux capteurs sĂ©mantiques, le discrinotron identifie les phrases, attitudes et dĂ©cisions discriminantes. Elle calcule ce potentiel d’exclusion qui aboutit aujourd’hui Ă  ce que 80 % des femmes considĂšrent ĂȘtre rĂ©guliĂšrement victimes d’attitudes ou de dĂ©cisions sexistes dans leur entreprise. Des points sont dĂ©falquĂ©s Ă  l’auteur de discriminations. Quand son discrinotron est Ă  zĂ©ro, il peut rĂ©cupĂ©rer des points en vivant la vie d’une assistante mĂšre d’enfants en bas Ăąge !

Quelques phrases identifiées comme sexistes par le discrinotron :

  • Elle est intelligente pour une fille
  • TrĂšs bon CV. Dommage qu’elle ait des enfants.
  • Tu peux nous remercier. On s’est tapĂ© tout le boulot pendant ton congĂ© maternitĂ©.
  • Face au client, une femme, cela ne fait pas trĂšs pro.
  • Encore une qui voudra prendre ses mercredis.
  • Si on ne peut pas faire de rĂ©union Ă  18 h, quand est-ce qu’on travaille.
  • C’est quoi cette Barbie ? Elle a dĂ» coucher.
  • T’as tes rĂšgles ou quoi ?
  • Pour ce mĂ©tier, il faut en avoir.
  • Pas besoin d’augmentation. Elle a conjoint qui gagne bien.
  • Tu mets une jupe et des talons, cela fera plaisir au patron.
  • Je me demande avec qui elle a couchĂ© pour en arriver lĂ .

2. Stopleboulo

DĂ©clenchement du blocage des ordinateurs et tĂ©lĂ©phones utilisĂ©s par les collaboratrices lorsqu’elles ont travaillĂ© pour un Ă©quivalent salaire des hommes. La diffĂ©rence de salaires entre les hommes et les femmes Ă©tant de 15 % selon Eurostat, l’organisme de statistiques de l’Union europĂ©enne, le stopleboulo intervient le 7 novembre. Si les femmes choisissent de pratiquer un stopleboulo mensuel, elles ne travaillent que deux jours, la derniĂšre semaine du mois. Les footballeuses professionnelles Ă©tant dix fois moins payĂ©es que les footballeurs, elles arrĂȘtent le match Ă  la neuviĂšme minute. Les rĂ©alisatrices Ă©tant payĂ©es 42 % de moins que leurs homologues masculins devraient arrĂȘter la diffusion de leur film Ă  un peu plus de la moitiĂ©.

3. Courdefoot

RepĂ©rage des situations oĂč les hommes jouent un rĂŽle central et les femmes sont spectatrices Dans la majoritĂ© des cours de rĂ©crĂ©ation, l’espace central est occupĂ© par un terrain de football oĂč les garçons jouent. Autour de ce terrain, les filles ont un espace rĂ©duit pour regarder les garçons jouer. Dans l’entreprise, le schĂ©ma se reproduit. Les postes centraux sont occupĂ©s par des hommes : dans les 100 plus grandes sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes, les comitĂ©s exĂ©cutifs sont composĂ©s Ă  89 % d’hommes. 24 % des femmes dirigent des entreprises dans le Monde (Ă©tude du cabinet de conseil Grant Thornton, mars 2016). 39 % des entreprises du G7 ne comptent mĂȘme aucune femme au sein de leur conseil d’administration
 Courdefoot dĂ©clenche des coups de sifflet signalant un arrĂȘt de ce jeu discriminant. Ils sont assez stridents pour Ă©tourdir les hommes et leur donner envie de s’éloigner de l’espace central.

4. Equantizeur

Mesure de l’expĂ©rience et la formation d’une femme et calcule de l’équivalent du poste et du salaire pour les hommes. L’equantizeur mesure l’expĂ©rience, la formation, le talent d’une femme et indique le poste et le salaire qu’on accorderait si c’est un homme. ParticuliĂšrement utile aux recruteurs, cette fonction permet de : – Supprimer les diffĂ©rences de salaires. AdoptĂ©e en prioritĂ© par les managers de la Silicon Valley, elle Ă©vite que les femmes aient des salaires de 40 Ă  50 % infĂ©rieurs aux hommes. – Diminue les dĂ©fauts d’évaluation qui viennent du fait que, contrairement aux hommes, les femmes ne mettent pas en avant leurs rĂ©alisations. Si un recruteur ne respecte pas les prĂ©conisations de l’équantizeur, sa taille diminue et il est rapidement transformĂ© en un nain de jardin. À cause de cette mĂ©tamorphose, le discriminant peut perdre confiance en lui et se retrouver dans la situation peu enviable que connaissent de nombreuses femmes.

5. MĂ©tisseur

Évaluateur des performances d’un mĂ©tissage Ă©galitaire hommes-femmes Les Ă©tudes scientifiques se multiplient. Les femmes sont diffĂ©rentes, les hommes aussi ! Ces diffĂ©rences se traduisent dans des maniĂšres d’aborder le travail. Si les hommes sont plus dans l’action, les femmes excellent dans l’analyse et la perception. Les hommes ont plus l’esprit de compĂ©tition, alors que les femmes effectuent plusieurs tĂąches en mĂȘme temps. Lorsqu’elles crĂ©ent une entreprise, les femmes partent souvent d’un besoin, d’un manque observĂ© dans la vie quotidienne, alors que les hommes privilĂ©gient les performances technologiques et les opportunitĂ©s des marchĂ©s. Ce mĂ©tissage des diffĂ©rences a un impact sur la performance d’une entreprise. Les entreprises qui ne comptent aucune femme dans leur comitĂ© de direction ont une performance de 18 % infĂ©rieure et celles qui comptent plus de 35 % de femmes parmi leur encadrement. Une Ă©tude de l’OCDE montre que si la France parvenait Ă  une Ă©galitĂ© vraie entre hommes et femmes tant en matiĂšre de participation au marchĂ© de l’emploi et de salaire que de taux entrepreneurial, elle engrangerait 9,4 % de croissance supplĂ©mentaire sur 20 ans. Le mĂ©tisseur affiche les performances qu’une entreprise pourrait faire si elle Ă©tait plus Ă©galitaire. Ce quantitatif titille le fameux esprit de compĂ©tition des hommes.

6. Stéréotypeur

Identification des stĂ©rĂ©otypes qui empĂȘchent les femmes d’accĂ©der Ă  des postes de direction ou de s’engager dans certaines professions. Les stĂ©rĂ©otypes ont la vie dure. PrĂšs d’un tiers des managers (29 %) pensent encore qu’il existe une diffĂ©rence de compĂ©tences liĂ©e Ă  la gĂ©nĂ©tique.  77 % des managers affirment que le savoir-faire est typiquement masculin alors que le savoir-ĂȘtre est pour eux plutĂŽt une compĂ©tence fĂ©minine. « Tu ne vas pas t’enfermer derriĂšre un ordinateur Ă  manger de la pizza
 Les filles cela parle aux gens, pas aux machines. » Ces stĂ©rĂ©otypes freinent l’accĂšs des femmes aux mĂ©tiers du numĂ©rique. Ils se glissent ensuite partout de maniĂšre insidieuse pour les empĂȘcher de rester dans la branche. Par exemple dans tous les jeux vidĂ©os, les personnages fĂ©minins ont les seins comme des obus. Et ils se vendent bien. Le livre « Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routiĂšres ? « a fait un carton, car il conforte les stĂ©rĂ©otypes avec une sauce pseudo-scientifique. Quand il repĂšre un stĂ©rĂ©otype, le stĂ©rĂ©otypeur projette des informations positives comme : En Malaisie, il y a autant de femmes que d’hommes dans les mĂ©tiers du numĂ©rique. Les mĂ©tiers ont la cĂŽte parce qu’ils ne sont pas salissants et permettent d’avoir des horaires souples.