Prospective-fiction, l’homme au centre du jeu

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Une série en trois épisodes

Épisode 2 : Au cours de l’épisode 1, on a dĂ©couvert que la place qu’occupe la prospective-fiction dans la prospective. On avance d’un pas pour explorer ses diffĂ©rents usages.

Pour Ă©viter les propos longs comme un jour sans amour, je vous propose d’illustrer ces usages par des exemples.

Traduire, démystifier, faciliter la compréhension

L’épisode 1 a dĂ©marrĂ© avec l’expression : « le futur a la cĂŽte ». Je reprends la formule en disant : le jargon a la cĂŽte dans tous les milieux professionnels ! On crible ses propos d’acronymes et autres perturbateurs de comprĂ©hension pour discuter entre pairs et Ă©loigner les blancs-becs. Les startupers et autres faiseurs du futur ont leur novlangue. Elle Ă©vite qu’un nĂ©ophyte lĂšve le doigt pour dire : « Vous ne croyez pas que si vos big data et vos rugissantes technologies donnent du sens Ă  votre vie, elles vous font aussi perdre le bon sens. ». À partir de cette digression, on a compris que le premier intĂ©rĂȘt de la prospective-fiction est de traduire des problĂ©matiques a priori compliquĂ©es en rĂ©cits simples. En deux coups de cuillĂšres Ă  mots trempĂ©es parfois dans un peu d’humour, on passe de discours techno-machistes incomprĂ©hensibles pour les non-initiĂ©s Ă  des approches accessibles.

Commande de pizza

Il faut vraiment ĂȘtre restĂ© depuis quelques annĂ©es la tĂȘte dans le sable pour ne pas avoir entendu des « grosses donnĂ©es » ou « big data ». Mais, mĂȘme s’ils ne sont pas des autruches, les nĂ©ophytes ont du mal Ă  comprendre comme le flot de 0 et 1 va transformer la vie quotidienne. Le dĂ©clic se fait immĂ©diatement en racontant la commande de pizza dans le futur.

Provoquer des dĂ©bats, favoriser l’émergence de diffĂ©rents points de vue

La prospective-fiction jette des pavĂ©s dans la marre pour que la problĂ©matique Ă©clabousse et qu’on ne puisse plus l’ignorer. Le principe est de l’aborder de maniĂšre lĂ©gĂšre et un peu dĂ©calĂ©e pour favoriser des dĂ©bats de fond faisant Ă©merger diffĂ©rentes visions. En clair comme les Ă©changes ne sont pas plombĂ©s par des experts qui font passer leurs visions du futur pour des certitudes, les Ă©changes sont plus riches.

Quand il y a des gÚnes, il y a à réfléchir

CrisprCas9 est le nouveau couteau suisse de la gĂ©nĂ©tique. Conçu par la Française Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, il rĂ©volutionne la manipulation gĂ©nĂ©tique. Avec lui, modifier l’ADN est de n’importe quelle espĂšce, y compris chez l’homme devient un jeu d’enfant. Est-ce que demain on aura des lapins fluorescents, des poules roses, des HGM (humains gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s) ? Quant la technologie rend possible ce qui Ă©tait avant impossible, il convient de dĂ©battre avant qu’il ne soit trop tard.

Le Pink chicken projet imagine que les poules seront roses fluo.

Dans « GĂšnes Ă©goĂŻstes Â», je m’interroge sur l’avenir du couple. Comment cela se passera-t-il lorsqu’il pourra programmer son enfant ? Le sujet est sĂ©rieux, l’approche est ludique
 Le dĂ©calage fait rĂ©agir.

Humaniser l’innovation

Nous vivons une pĂ©riode de transition. Nous sommes en train de passer d’une situation stable Ă  une autre. Ce passage est un moment chaotique. La stabilisation s’effectuera en faisant Ă©merger des innovations qui seront la charpente de nouvelles organisations. Dans ce contexte, il est logique que les entreprises se soient engagĂ©es dans une course effrĂ©nĂ©e Ă  l’innovation. Mais dans leurs emballements, elles se focalisent sur les innovations technologiques et oublient un peu, voire beaucoup, que c’est surtout l’homme qui ferra le monde de demain. En projetant ces innovations dans des futurs quotidiens, on envisage leurs aspects Ă©thiques, culturels, sociaux et remet les futurs usagers, donc l’homme, au centre des prĂ©occupations.

Sécurité totalitaire

Dans un climat de crainte d’attaques terroristes, la reconnaissance faciale a le vent en poupe. Mais, elle fonctionne qui si on ne sourit pas. Va-t-on aller jusqu’à nous interdire de sourire ?

Ne souriez pas, vous ĂȘtes filmĂ©s

Réalité augmentée ou diminuée

La réalité augmentée ajoute des informations à ce que nous envoyons. Dans ce cas, nous pouvons aussi envisager la réalité diminuée. On se pose alors la question de ce que nous ne voulons pas voir.

 

NB : Vidéo intéressante découverte sur Facebook. Je ne connais pas les auteurs.

Inventer de nouveaux produits et services

L’imagination est la meilleure compagnie de transport du monde. Cette ressource est inĂ©puisable, recyclable est permet de faire de dĂ©couvrir des territoires inexplorĂ©s.

Lorsqu’on effectue des ateliers de prospective-fiction, on ne dĂ©termine pas une date pour le futur. Le futur c’est dans 10 ans, 20 ans, 30 ans
 La consigne est qu’on se projette dans un temps oĂč les freins du prĂ©sent n’existent pas. Ce sera donc plus 2040-2050 pour l’immobilier et 2025-2030 pour des avocats. Cette libertĂ© assouplit les neurones et favorise l’imagination. RĂ©sultat, je suis toujours Ă©tonnĂ©e de la performance des idĂ©es.

Edison disait : « Le gĂ©nie c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration ». La prospective-fiction contribue Ă  ce 1% d’inspiration. En revanche, elle n’est pas du tout adaptĂ©e pour les 99% de transpiration.

Catalogue d’idĂ©es

S’appuyer sur les innovations existantes pour faire imaginer un catalogue de produits existants est un superbe exercice. Le rĂ©sultat est souvent assez exceptionnel.

Ikea l’a fait.

Manager

Depuis quelques annĂ©es, le PDG d’Amazon Jeff Bezos a interdit les prĂ©sentations PowerPoint Ă  ses employĂ©s. Pour lui, elles favorisent l’impasse sur des concepts essentiels, aplanissent les niveaux d’importance et ignorent les interconnexions entre les idĂ©es. Il les oblige Ă  faire des mĂ©mos. La structure narrative force Ă  rĂ©flĂ©chir de maniĂšre plus intelligente. C’est exactement la mĂȘme chose avec la prospective-fiction. On n’enferme pas la pensĂ©e dans un carcan servant des platitudes, on lui laisse les moyens de s’exprimer.

La prospective-fiction est aussi devenue un mode de management pour certaines entreprises amĂ©ricaines. Le CIO balance des visions fictionnelles de l’avenir et aprĂšs les collaborateurs doivent ramer pour que sa fiction devienne rĂ©alitĂ©.

Jeff Bezos excelle dans l’exercice. En 2013, il crĂ©e le buzz avec Amazon Prime Air, un service utilisant des mini-drones pour acheminer des colis en une demi-heure. Depuis, ses Ă©quipes planchent sur l’affaire.

Mais, le grand artiste du management en mode prospective-fiction est incontestablement Elon Musk, PDG de Tesla.

Il assure sa notoriĂ©tĂ© en balançant des visions dĂ©capantes pour le futur de l’automobile : « Presque toutes les voitures qui seront produites dans dix ans seront autonomes. Dans 20 ans, les voitures n’auront plus de volant ». Ou en rendant la conquĂȘte spatiale comme inĂ©luctable : « Je pense qu’il y a vraiment deux chemins fondamentaux. L’Histoire est en train de bifurquer dans deux directions. Un chemin est que nous restions sur Terre pour toujours, avec l’Ă©ventualitĂ© qu’un Ă©vĂšnement d’extinction survienne. […] L’alternative est de devenir une civilisation spatiale et une espĂšce multiplanĂ©taire qui, j’espĂšre, vous convient comme chemin Ă  parcourir » explique-t-il en prĂ©cisant qu’il dĂ©veloppe un lanceur et une capsule capable de transporter des dizaines de passagers et une cargaison vers Mars.

En rĂ©sumĂ©, la prospective-fiction est comme Crispr-Cas9 un couteau suisse (Allusion pour vĂ©rifier que vous avez bien lu tous mes propos ! Sourires). Elle permet de traduire le jargon en histoires accessibles au plus grand nombre, provoquer des vrais Ă©changes, imaginer des produits et services dĂ©capants, manager et de remettre l’homme au centre des prĂ©occupations lorsqu’on rĂ©flĂ©chit au futur. Vu que l’affaire ne peut que vous sĂ©duire, je vous invite dans l’épisode Ă  aller regarder sur le capot. Je vous prĂ©senterai quelques ficelles qui vous aideront Ă  mettre la prospective-fiction au service de vos objectifs.