Mon boulanger a été ubérisé
Mon boulanger a été ubérisé
Une prospective-fiction pour rĂ©flĂ©chir au futur de l’ubĂ©risation. On imagine, on discute⊠On agit. Pour vous, cette anticipation est probable ou non probable ? Souhaitable ou non souhaitable ?
2037. Coup de torchon dans les fournils, les boulangers sont ubérisés. En un croissant de Lune, ils passent du four au moulin de la nouvelle économie et font leur bon pain de ces bouleversements.
Chaque matin, dĂšs que jâai les yeux ouverts, je gesticule pour ouvrir lâapplication Peter Pain et commander ma baguette bio-dĂ©tox et Ă©nergisante. Quelques minutes plus tard, un drone le pose sur ma table de cuisine.
Ce dispositif a été lancé quand des milliers de personnes ont investi dans des panibriquantes ou imprimantes 3D spécialisées dans la fabrication du pain.
Les panibriquantes nâont rien Ă voir avec les machines Ă pain dâantan. Ces robots mĂ©nagers avaient robotisĂ© le processus artisanal de fabrication du pain, alors que les panibriquantes impriment des couches de pĂąte et effectuent une cuisson molĂ©culaire Ă basse tempĂ©rature. Ce systĂšme est aussi rapide que souple. Le consommateur passe sa commande sur sa tablette. La machine fabrique en une minute sa baguette, sa couronne, sa miche avec la farine et les composants choisis.
La qualitĂ© du pain Ă©tant au rendez-vous, les panibriquantes se sont rĂ©pandus comme des petits pains. La start-up Peter Pain a surveillĂ© le marchĂ©. Quand un nombre suffisant de personnes possĂ©daient des panibriquantes, ils ont lancĂ© leur plateforme mettant en relation les possesseurs de panibriquantes et les consommateurs. Quand les panifabeurs ou fabricants occasionnels de pain sont disponibles, ils crĂ©ent un ou plusieurs pains en plus pour les voisins. GisĂšle, mĂšre de famille, produit chaque matin une quinzaine de baguettes : « Comme jâallume la machine pour faire du pain pour la famille, jâen fais aussi pour des personnes habitants Ă proximitĂ©. Jâamortis ainsi ma machine. »
En quelques mois, Peter Pain est devenu incontournable. Plusieurs éléments ont contribué à ce succÚs.
Le pain imprimĂ© est personnalisable. On peut intĂ©grer tous les ingrĂ©dients que lâon veut dans sa composition. Les accompagnants de personnes ĂągĂ©es ou malades peuvent y ajouter les mĂ©dicaments.
Il nây a plus de gĂąchis. La taille de la baguette sâadapte au nombre de personnes Ă qui elle est destinĂ©e et Ă leur appĂ©tit. Un algorithme apprenant dĂ©finit la taille. Les pains sont livrĂ©s Ă domicile dans un temps record. Ils sont dĂ©posĂ©s sur la plateforme de livraison express de proximitĂ©. Des drones, des cyclistes ou des marcheurs font les derniers mĂštres.
LâarrivĂ©e de Peter Pain a provoquĂ© un grand chambardement chez les boulangers.
Ils ont commencĂ© par ne pas y croire. Ils sont sortis de leur mitron pour soupirer que boulanger Ă©tait un vrai mĂ©tier et que jamais une machine ne les remplacerait. Ă les entendre, les baguettes rĂ©alisĂ©es par les panibriquantes nâĂ©taient que des Ă©dulcorants de baguettes. On ne parlerait plus de cette machine dans quelques mois. Dâailleurs, câĂ©tait comme pour les pains au chocolat, il fallait faire refroidir lâidĂ©e avant de savoir si elle est bonne.
Comme Peter Pain faisait de plus en plus dâadeptes, les boulangers se sont mis Ă tirer Ă boulets rouges sur cette innovation. Des lobbyistes tordirent la loi pour montrer que le pain devait ĂȘtre crĂ©Ă© par des boulangers diplĂŽmĂ©s. Dâautres firent courir des rumeurs dâune Ă©pidĂ©mie dâergot de seigle provoquĂ©e par les panibriquantes.
Le boulanger Paul tenta de mettre Peter Pain dans le pĂ©trin en installant des distributeurs de pain Ă tous les coins de rue. Ces machines servirent de dĂ©fouloirs aux boulangers agacĂ©s par lâarrivĂ©e de Peter Pain.
Pour éviter de perdre leur gagne-pain, les boulangers formés au collaboratif invitÚrent leurs clients à trouver la solution à leur problÚme.
La premiĂšre proposĂ©e fut que leurs baguettes soient gratuites. Les boulangers examinĂšrent lâĂ©conomie biface initiĂ©e par des Google. Ils proposĂšrent donc des baguettes nano-pucĂ©es qui analysaient toutes les donnĂ©es de ceux qui les mangeaient. Elles nâeurent quâun succĂšs limitĂ©. Les clients craignaient les dĂ©mangeaisons provoquĂ©es par les nano-puces.
Dâautres racontĂšrent quâils continueraient Ă acheter leurs baguettes si leur boulangerie devenait un lieu incontournable du quartier. On vit arriver des coboulanges oĂč lâon pouvait travailler en dĂ©gustant des croissants chauds. Puis des boulaveries (boulangerie laverie), des repboules (boulangerie qui rĂ©pare tous les objets du quotidien), des santiboules (des boulangeries oĂč lâon peut mĂ©diter, faire du sport, parler santĂ© et alimentation)âŠ.
Le rĂ©seau Faboul se dĂ©veloppa. Son objectif Ă©tait dâaider les boulangeries Ă attirer des clients dans leurs locaux. Il devint Cobouche lorsque les boucheries furent ubĂ©risĂ©es avec lâarrivĂ©e de lâimprimante Ă viande.
Et dans ce tohu-bohu, des boulangers continuĂšrent Ă faire leur pain quotidien. Ces artistes avaient tous les jours un peu plus de clients, car leurs baguettes Ă©taient rares et excessivement chĂšres. Leurs clients nâachetaient plus un kilo de pain, mais la part de lâĂąme de celui qui lâa produit ou plus prosaĂŻquement lâhistoire racontĂ©e.
Ce grand choc de la boulange fit comprendre aux boulangers et autres fabricants de biens matĂ©riels que tous les secteurs peuvent ĂȘtre ubĂ©risĂ©s. MĂȘme les formes dâorganisation quâon prend pour immuables peuvent disparaĂźtre. Ils comprirent que face Ă cette tornade, ils nâavaient quâune alternative : sâadapter ou mourir.
Depuis, la devise des boulangers est devenu :
« Quand on rentre dans le moule, on devient vite tarte, quiche, flan⊠»