Ne souriez pas, vous êtes filmé !
La vidéo-surveillance et la reconnaissance faciale ont la cote. Dans cette prospective-fiction, on imagine que demain cela sera une priorité d’identifier chaque individu.
2033. Le parlement a accepté le DSG (Délit de souriante gueule) sanctionnant les personnes qui sourient dans les lieux publics. Des manifestants s’opposent à cette mesure qui a pour but de faciliter l’identification par les caméras de surveillance.
Des centaines de personnes ont manifesté devant la Chambre des députés pour protester contre l’interdiction de sourire dans les lieux publics. L’ambiance était à la détermination : « Le rire est le propre de l’homme, nous ne pouvons pas accepter une loi qui nous transforme en bêtes », hurle un jeune homme. « Le sourire est ce qui illumine le visage. Je n’ai pas envie de vivre lumière éteinte et de passer ma vie à broyer du noir », ajoute une jeune femme en affichant un large sourire bientôt criminel.
Une autre manifestante s’est positionnée devant une caméra de surveillance en disant : « Mireille S. spécialiste de ce sourire en coin qui déstabilise l’ordre établi. Je suis économe. Je préfère prêter à sourire que donner à réfléchir ». Après cette entrée en matière, le ton de la jeune femme a changé : « Le délit de souriante gueule est passible de trois mois d’emprisonnement. On risque donc de passer quelques mois derrière les barreaux parce qu’on tombe amoureux et que l’on ne peut pas s’empêcher de montrer son affection. Ou tout simplement parce qu’on échange avec son bébé. Avec cette loi, c’est notre humanité qui est visée. Le gouvernement veut nous transformer en robots. »
L’interdiction de sourire dans les lieux publics répond à un problème technique : le sourire déforme les traits du visage. Cette altération des traits empêche le bon fonctionnement du système de reconnaissance des personnes. Quand les personnes sourient, on enregistre 10 % d’erreur. Une personne sur dix n’est pas reconnue. Cette défaillance de la technologie est ancienne. Déjà au début du siècle, on ne devait pas sourire sur la photo de son passeport pour la même raison.
Cette mesure a été prise à la suite de la série d’attentats dans les aéroports et les gares. Depuis janvier, cinq explosions ont détruit des installations informatiques dans ces lieux publics. Ils ont été revendiqués par le CLACSIN (Comité de lutte des agacés contre la surveillance intrusive numérique) qui s’oppose à cette surveillance permanente des faits et gestes de chacun.
La presse a qualifié le décret de rageur. Le gouvernement ne supportait pas que des petits rigolos les narguent et leur montrent que leurs faramineux investissements dans la vidéosurveillance s’avéraient inutiles. Pour Anatole Foncera, député de l’opposition, c’est le glas qui sonne leur défaite : « Au lieu d’entamer un dialogue avec le CLACSIN et par son intermédiaire avec les citoyens, le gouvernement a préféré engager un bras de fer. On va donc utiliser encore plus de technologies pour traquer ceux qui s’opposent à cette surveillance. On a l’impression qu’ils n’ont toujours pas compris que, comme disait Einstein, on ne peut pas résoudre un problème avec le mode de pensée qui l’a créé. »
Côté CLACSIN, l’ambiance est à la fatalité. Samuel Muller, le président, pense que le gouvernement va continuer à promulguer des interdits surréalistes. Selon lui, la prochaine interdiction concernera l’usage des bombes insecticides dans les lieux publics.
Depuis quelques mois, les organismes de sécurité utilisent des moucharobots ou mouches robotisées et télécommandées pour effectuer leur surveillance. Les moucharabots se confondant avec les mouches, nombreuses personnes utilisent lors des manifestations des bombes insecticides. Deux solutions, ou l’objet volant est un insecte et il est tombe raide morte ou c’est un robot-espion et le liquide obscurcit les lentilles et rend impossible la surveillance.
Dans le même esprit, ils pourraient aussi interdire les chapeaux à larges bords qui empêchent les ciélateurs (caméra satellitaire qui espionne les faits et gestes) de nous identifier.
Si jusqu’à maintenant la technologie donnait du sens à la vie de ses adeptes et en même temps leur faisait perdre le bon sens, il semble maintenant que ce sont les politiques qui perdent le Nord.
Nous sommes tous sous surveillance
Thierry Vendetta, auteur de : « Nous sommes tous sous surveillance » évoque la montée en puissance de la vidéosurveillance.
Lors de votre dernière chatterie télévisée, vous avez dit : « Avec la vidéosurveillance, nous sommes tous enfermés dans une prison panoptique où nos pires matons sont nos proches. » Pouvez-vous expliciter votre idée ?
Le panoptique est un mot ancien qui désigne un bâtiment carcéral en anneau avec au centre une tour. Le panoptique a été imaginé au 18e siècle par Jérémy Bentham. L’objectif de cette structure est de permettre aux matons d’observer tous les prisonniers. Comme les détenus ne peuvent savoir si le regard est ou non braqué sur eux, cela crée chez eux un « sentiment d’omniscience invisible ». Avec le principe panoptique, on garde sur les trois fonctions du cachot (enfermer, priver de lumière et cacher) que la première. La pleine lumière et le regard d’un surveillant captent mieux que l’ombre, qui finalement protège. La visibilité est donc un piège. Au siècle dernier, le philosophe Michel Foucault affirma que le danger de cette structure est d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Selon lui, avec de tels systèmes, il n’était pas nécessaire d’avoir recours à la force pour contraindre le condamné à la bonne conduite, le fou au calme, l’ouvrier au travail…
La vidéosurveillance a progressivement mis en place un système panoptique en multipliant les caméras. Aujourd’hui plus de la moitié du territoire est sous surveillance numérique. Alors qu’il y a encore une quinzaine d’années, on pouvait se balader tranquillement dans les bois, aujourd’hui il y a des caméras sur tous les sentiers fréquentés. Ces caméras sont en prime proactives. Si elles détectent quelque chose d’anormal, elles déclenchent une alarme. Le tout est de savoir ce qui est normal et ne l’est pas. S’embrasser, sourire dans un sous-bois est-il normal ou pas ? La question étant complexe, on y répond en considérant que le normal est ce que fait la majorité des gens. Il faut donc faire comme tout le monde, être un mouton si l’on ne veut pas être ennuyé.
À cette surveillance publique, il faut ajouter la surveillance privée. Alors qu’hier on demandait aux gens s’ils acceptaient qu’on les filme ou les prenne en photos, aujourd’hui on n’a même plus l’idée de poser la question. Au boulot, dans le métro, à la maison, on vous filme et vous vous retrouvez en quelques secondes sur le Net. Ce voyeurisme généralisé est un puissant destructeur de vie. Pas plus tard que la semaine dernière, une jeune femme a vu sa vie ruinée parce qu’elle mettait ses doigts dans le nez. Les images ont circulé à la vitesse de la lumière sur le Net. Résultat, pour éviter de subir ce sort, on s’autocontrôle de plus en plus.