La culture numérique diverge largement du modèle des années 70 quand il était de la culture des médias (Télévision, images). Nous passons d’un modèle de mass-média passif à des médias participatifs et actifs. C’est-à-dire d’être en capacité d’être acteur du « web social » en faisant partie intégrante du médium. En quinze ans seulement, 5 milliards d’individus se sont dotés d’un téléphone portable, et 3 milliards d’un accès à Internet. On constate que l’adoption du web mobile concerne, en premier lieu, les foyers défavorisés. La formation continue doit-elle s’y intéresser activement. Comment et pourquoi ? Les TIC sont incontournables et participent activement aux moyens d’apprentissage, mais aussi d’insertion professionnelle, d’insertion sociale et citoyenne, pour peu qu’on dépasse une vision outils. Entre les techno-septiques et les techno-utopistes, soyons réaliste. La technologie n’est pas une baguette magique, mais pour le découvrir il faut savoir la manier. Difficulté supplémentaire, c’est que nous sommes toujours en retard d’une (r)évolution.
Culture numérique pour tous
Le principe de fracture numérique –ou e-inclusion- est composé de trois mécanismes de renforcement : L’accès aux technologies : il y a la fracture subie où la personne n’a pas accès à un ordinateur ni à une connexion. C’est l’enjeu des infrastructures et de programmes comme ordi 2.0. Selon la dernière étude du CREDOC (2010), trois Français sur quatre sont désormais équipés d’un ordinateur au domicile et ont accès à Internet. Le différentiel social : “Avec une capacité limitée en matière d’alphabétisation, d’éducation, de liens sociaux, d’influence politique, la valeur de la technologie est elle-même limitée” explique Kentaro Toyama. Ainsi toujours selon le CREDOC, les trois quarts des individus qui disposent d’un accès à Internet à leur domicile l’utilisent tous les jours, 16% en font un usage hebdomadaire et 5% seulement ne l’utilisent jamais. Les programmes d’e-inclusion visent à réduire cette fracture numérique et sociale. Les pratiques d’usage : que faisons-nous avec ces technologies ? Pas grand chose. Nous repoussons à demain les bénéfices qu’ils devraient nous apporter demain. Nous agissons à l’aveugle en suivant les mouvements de foule, avec un usage par tâtonnement et essai/erreur. Et cette situation devrait encore durée de nombreuses années. Pourtant, suite à une étude inédite, sur l’apport du numérique dans la réduction des inégalités professionnelles hommes/femmes, Nathalie Wright, chargée du programme Diversité chez Microsoft France commente : « Nous avons toujours eu la conviction que le numérique libérait les femmes, en permettant le travail de la maison, en horaire décalés, en rompant l’isolement, ou, plus prosaïquement, en permettant l’accès aux offres d’emplois. Cette étude corrobore nos intuitions et nous incite à l’action ».
Il y a là, une histoire d’appétence en front renversé. L’usage réduit le différentiel social et favorisant l’accès naturel aux technologies. En d’autres termes, l’usage crée la demande. Cela demande une démarche prenant en compte le besoin de l’utilisateur. C’est ce que souligne la Synthèse de la consultation publique du volet « contenus et usages numériques » des investissements d’avenir [PDF] : « l’implication des usagers au sein des projets à travers une démarche bottom-up apparaît comme une condition nécessaire à la réussite du plan de développement. Cette implication devra à terme se traduire par une réelle formation des enseignants aux nouveaux outils, sous peine d’un rejet de ceux-ci. » Ce qui est vrai pour les populations en difficultés peut l’être aussi dans des contextes professionnels diversifiés. L’usage des technologies ne se limite plus au col blanc. Sa pratique est indispensable pour retrouver un emploi. Plus encore, ces pratiques doivent être embarquées dans le temps de formation, et concernent toutes les générations. Comme le souligne Louise Merzeau, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense dans un écrit : « la dernière imposture en date pourrait bien se nicher dans la notion de « digital native », ou dans ce qu’on cherche à lui faire dire. Que les générations nées avec l’informatique et les réseaux n’éprouvent aucune appréhension face aux machines numériques est une évidence. Qu’elles considèrent l’interface graphique, l’écran tactile ou le clavier de leur téléphone mobile comme des objets plus « naturels » qu’un volume de 500 pages, chacun le constate. Que la pratique du chat et la manipulation des jeux vidéo aient développé le goût des tâches multiples ou des façons particulières de raisonner, c’est fort probable. Mais que ces aptitudes nouvelles soient d’ores et déjà intégrées en un système réflexif, vecteur de connaissance et de socialisation, cela reste à vérifier. La solidarité entre supports et formes du savoir n’est pas en cause, et encore moins la possibilité de forger une culture numérique. Mais il faut pour cela raccorder médiations techniques et politique, apprentissage et croyance, environnement culturel et offre technologique. » En clair, nous sommes tous concernés. Près de 60% des 11-15 ans ont montré à leurs parents comment utiliser Internet. Plus de 80% d’entre eux sont déjà tombés sur des contenus « choquants » mais moins de 10% d’entre eux en ont parlé avec un adulte. Ces chiffres proviennent du « baromètre Enfants & Internet » publié par Calysto. Et il y a nécessité d’organiser des échanges intergénérationnel pour dépasser le miroir de la technologie triomphante pour réinterpréter la culture. Pas sûr. Les statistiques du rapport de l’OCDE, Les grandes mutations qui transforment l’éducation 2010, suggèrent un accès croissant et quasi-universel à l’informatique dans le cadre familial. En revanche, « les données disponibles sur le nombre et l’utilisation des ordinateurs scolaires indiquent que les TIC n’ont pas fondamentalement transformé l’environnement éducatif ni les méthodes pédagogiques employées ». Dans les pays de l’OCDE, le fossé numérique ne se situe plus au niveau de l’accès à l’outil mais de la capacité à s’en servir et à tirer parti des opportunités qu’il offre.
Formel, informel, non formel, intergénérationnel tout au long de la vie
Le rythme d’innovation dans le secteur des technologiques ne cesse de s’accélérer. C’est le tonneau des Danaïdes. Comme le fait remarquer Jacques-François Marchandise dans les prénumériques : « on sera toujours le prénumérique de quelqu’un. Un prénumérique est quelqu’un qui est né avant le numérique, avant l’Internet. » Pourquoi s’en préoccuper ? Ainsi, demain permettra de s’approprier les technologies d’hier.
Les changements en cours s’organisent de façon systémique et transversale. Il ne se limite pas aux technologies, mais comprend l’économie, le social et le politique. En 2014, 75% de la population accèdera à Internet via son mobile. Mais, pour quel type de consommation ? Pour apprendre ? Et pourtant ! En 1999, le professeur Sugata Mitra eu l’idée d’installer un ordinateur sur le mur extérieur de son bureau à Delhi, face aux bidonvilles. « Les jeunes habitants de la « ville dépotoir » montrèrent rapidement de l’intérêt pour ce nouvel outil. Ces enfants n’allant pas à l’école et ne parlant pas anglais ont vite commencé à utiliser l’ordinateur mis à leur disposition par le professeur Mitra. Dès lors, celui-ci observa que les jeunes apprirent le fonctionnement de la machine et s’aidèrent mutuellement» raconte Thot. L’apprentissage des technologies se fait principalement de façon informel et intergénérationnel. L’apprentissage se fait par la pratique, par l’expérience, des suites d’expérimentation et d’essai/erreur, et grâce à la collaboration. C’est le processus naturel d’apprentissage que tous les humains suivent. Il suffit de voir comment sont utilisés les modes d’emploi…. Les EPN ont de nombreuses expériences et réussites en la matière. Ils accueillent des publics variés qui accèdent rapidement à l’autonomie grâce à un système d’entraide entre utilisateurs. Mais, cela se passe à la maison ou au bureau. Il convient de valoriser ces compétences et de les mettre en mouvement pour apprendre d’autres choses. La technologie devient un moyen et non une fin en soit. Sur cette base, il serait intéressant de passer d’une « vision verticale du savoir » à une « vision en réseau du savoir », donc à son accessibilité. Les organismes de formation ont pour mission de développer l’apprendre à apprendre et l’autonomie. La séparation entre apprentissage formelle et informelle est beaucoup moins étanche que l’on voudrait le faire croire. Les systèmes sont poreux.
Ils se nourrissent mutuellement. Par quoi commencer ? Apprendre à écrire ou écrire pour apprendre ? Comment accompagner ce changement d’objectif en utilisant les technologies comme levier ? Sachant que les technologies sont en mouvement permanent, peut-on imaginer que les formateurs les apprennent de façon informelle tout au long de la vie ? C’est l’histoire sans fin de l’œuf et de la poule. Faire avec, c’est comprendre le monde dans lequel nous vivons…. Et s’autoriser à sortir du cadre. Comme le fait remarquer Bruno Latour, directeur du MédiaLab de Sciences Po Paris : «le numérique réalise le rêve de Mai 68 d’effacer la barrière entre enseignés et enseignants » et remet en question le « modèle usuel de percolation du savoir à partir de lieux autorisés ».
Open source, open content, open learn
Les logiciels open source en formation sont nombreux et fiables. La suite openoffice ou le navigateur firefox sont les exemples les plus emblématiques. Plus récemment le projet Sankore propose une suite logicielle open source avec un pilote universel pour tableau blanc interactif, un producteur de ressources pédagogiques au format SCORM et un éditeur qui permet de créer des suites scénarisées. L’ambition de ce programme est de développer un vaste écosystème de création et de partage de ressources éducatives numériques libres et gratuites. Ce mouvement est ancien mais il faut désormais compter sur un mouvement similaire sur les ressources. En août 2007, l’organisation Creative Commons a lancé une nouvelle division, Creative Commons Learn (ccLearn), dédiée au monde de l’éducation. Par cette polarisation, elle espère généraliser l’utilisation des Open Educational Resources (OER), des « Ressources d’Education Libre ». Plusieurs raisons objectives militent pour cette démarche dans une logique de service public :
- Le partage et la réutilisation peuvent permettre d’améliorer la qualité et de réduire les coûts d’élaboration.
- Le libre partage va accélérer l’élaboration de nouvelles ressources éducatives, stimuler l’amélioration interne, l’innovation et la réutilisation, et aider les établissements à tenir un registre précis des matériels et de leur utilisation interne et externe.
- Les organismes de formation (en particulier ceux financés sur fonds publics) pourraient mettre à profit l’argent des contribuables en permettant le partage et la réutilisation en libre accès des ressources.
Mais cela nécessite des nouveaux modèles économiques et des règles de répartition spécifiques pour le financement de ce fond éditorial commun. Cependant, l’intérêt existe aussi pour les organismes eux-mêmes :
- Il est bon pour l’image d’un organisme d’avoir un projet REL qui serve de vitrine pour attirer de nouveaux apprenants.
- Le libre partage peut être intéressant pour des raisons économiques ou commerciales, pour se faire de la publicité, pénétrer le marché plus rapidement, avoir l’avantage de l’antériorité, etc.
Le mouvement « Open Education » reposant sur le partage ouvert de la connaissance, il est de plus en plus présent sur internet. Nous ne pouvons pas l’ignorer. Il pose de nouvelles questions sur l’économie de l’éducation, mais aussi de la formation. Pourtant, plus nous partageons, plus nous apprenons. Et plus nous apprenons, plus nous voulons apprendre ; une piste pour un cercle vertueux. C’est l’exemple de la démarche d’Open University qui offre un accès gratuit à des milliers de ressources accessible à partir de youtube, iTunesU mais aussi OpenUniversity. Cette ouverture draine des inscriptions en masse. L’éducation – comme la formation tout au long de la vie – fait partie des biens communs, car elle relève de l’intérêt général. Mais force est de constater que les ressources et espaces d’apprentissage, ainsi que les matériels associés, ont une valeur marchande bien réelle, au risque parfois d’interdire l’accès au savoir à des millions de personnes, avec ou sans Internet. Peut-on imaginer que toutes les ressources pédagogiques du service public régional de formation soient libres d’accès sous licence Creative Commons et de rendre accessible les savoirs ?
Web 1.0, Web 2.0, web 3.0 ou web puissance 2
Le web 2.0, on en parle depuis 2005. Le terme « 2.0 » est devenu incontournable et se décline sur tous les tons : formation 2.0, pédagogie 2.0, management 2.0, EPN 2.0, etc. Il se démocratise et fait l’objet de nombreux commentaires. La prochaine vague d’innovation s’appellera web 3.0 (web sémantique) ou web au carré (web exponentielle). Les technologies avancent à un rythme exponentiel et leur impact est souvent imprévisible. Quelles compétences faut-il désormais acquérir ? Quels impacts profonds pour la formation continue ? Le blog de la formation professionnelle donne un tableau et une explication assez intéressante d’usages du web en contexte d’apprentissage. Cela passe certainement par une maitrise des outils ou plutôt à une exploration systématique et collaborative (on ne peut pas tout faire) en imaginant les usages pédagogiques qui en découlent et son insertion dans des scénarios pédagogiques. L’important est de comprendre les articulations et chainage entre les différents services. A titre d’exemple la place de la veille dans la formation et son articulation entre les services Twitter, Netvibes et Diigo.C’est ce que présente Virginie Paillas dans le schéma ci-dessous. Quelque soit le terme employé, cela recouvre le web de l’usage. Selon le contexte, le même outil servira des objectifs très différents. Cela remet en cause certaines de nos grilles de lecture puisque nous passons d’une logique de stock à un principe de flux. Les échanges se font pendant et hors du temps de formation. L’appropriation des usages est une nécessité systémique.
Identité numérique apprenante
Les mille facettes de l’identité numérique
La première est que nous laissons des traces. Et que celles-ci sont signifiantes : historique de recherche sur un moteur, contacts dans les réseaux sociaux, participations à des forums, écrire dans des blogs, partage de photos, etc. Certaines traces sont maitrisables ; d’autres sont analysées à votre insu comme les données géolocalisées via votre téléphone portable. Tous ces éléments forment votre identité numérique publique, privé, professionnel, intime, etc. Ainsi les chercheurs peuvent déterminer votre profil (religion, orientation sexuelle, politique, etc.) en analysant vos contacts. La lecture des articles sur Internet Actu est source d’inspiration. La présentation de Dominique Cardon, chercheur à Orange Labs, sur le design de la visibilité donne de nombreuses clés à utiliser dans la formation continue (les cadrans identité civile et identité agissante). L’apprentissage concerne en partie la construction d’une représentation sociale et donc d’une identité. L’identité numérique apprenante est au cœur des enjeux, une problématique commune à d’autres domaines (e-Santé / e- Administration / e-Citoyenneté). Les communautés, organisations et territoires sont les lieux où les identités se construisent et sont reconnues, agissant comme des agrégateurs de compétences. A long terme, cette identité numérique apprenante sera au cœur de la formation parce qu’elle permettra de faire le lien entre les apprentissages informelles, non formel et formel. A court terme, il convient de comprendre ses représentations et ses usages.
La légitimité des (r)évolutions
La culture numérique remet en cause la légitimité des institutions et de son organisation. Un peu comme Gutemberg qui, en imprimant la bible dans une langue populaire, remettait en cause l’autorité religieuse de l’époque, soit l’église catholique. Au milieu du gué, la légitimité pose toujours question. Imaginez-vous formateur à l’époque de Guttemberg ? Vous seriez réformiste ou conservateur ? Chacun fait sa propre (r)évolution personnelle. Les détournements d’usage par une « nébuleuse de contributeurs » risquent de hacker la formation. Il serait sans doute intéressant de construire des modèles durables avec les apprenants plutôt que de subir le changement social. Tout citoyen étant considéré comme un participant, il faudra choisir des solutions adaptées à la masse sans pour autant nuire à l’individualisation. L’acquisition de la culture numérique passe par trois étapes essentielles : Utiliser, comprendre, créer… Georges Siemens, un pédagogue canadien, propose un nouveau cadre théorique, le connectivisme où l’apprenant est connecté à un réseau et à des ressources dans un système ouvert. On change de paradigme où il faut apprendre à copier, remixer, transformer, adapter, créer, croiser, métisser les savoirs.