Gènes égoïstes

A VOS CLAVIERS

2003, les chercheurs crient victoire. Ils ont effectué le premier séquençage du génome humain. L’affaire a coûté trois milliards de dollars et sollicité 20 000 experts pendant treize ans. Dix ans plus tard, le décryptage passe sous la barre des 1000 dollars et dure une semaine. Les prix  continuent à baisser. Avec le décryptage du génome, on repère les gènes défectueux. Pour les modifier l’affaire est complexe jusqu’à l’arrivée en 2013 CRISPR-Cas9. Cette technologie mise au point par Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier est un tsunami technologique. Elle permet de reprogrammer un génome en une semaine au lieu de quelques mois. Demain, on modifiera peut-être le génome de son bébé. Dans un premier cela permettra à des parents d’avoir des bébés qui ne sont pas porteurs de maladies génétiques invalidantes. La technologie progressant, on peut imaginer que certains voudront jouer les apprentis sorciers en déterminant quelques caractéristiques de leur descendance. Après avoir lu « Gènes égoïstes », imaginez une autre histoire qui raconte la programmation de bébés en 2030.

Gènes égoîstes

par Annadré Vannier, Nicolas Vallée

Et si demain, on programmait le génome de son bébé !

Au menu du jour chez Kat et Rik, il y a criquets et programmation du futur bébé. Sexe, QI, maladies… Ils en font tout un plat.

On n’entend pas une mouche voler chez Kat et Rik. Avec lenteur et précision, ils décortiquent un plat de criquets aux algues[. Rik enlève méticuleusement une carapace violette, quand il entend :

— Rik ! Je veux un enfant !

— Tu veux un enfant-robot ? Je descends t’en acheter un, dit-il en se disant qu’il pourrait en profiter pour acheter une pizza. Même si les insectes sont diététiquement corrects, ils ne nourrissent pas vraiment son homme.

— Je préfère un enfant naturel sans défauts ?

— Mon clone ?

— S’il pouvait ne pas avoir ton humour pourri, cela m’arrangerait.

Rik ajoute une nouvelle bestiole aux yeux torves dans son assiette. Kat le fusille du regard afin que son compagnon comprenne que l’affaire doit faire mouche dans la nano-seconde.

— Tu veux un bébé génétiquement modifié ?

— Juste quelques gènes. On lui laisse nos bases.

Rik pousse les assiettes et transforme la table en écran.

— Compris, on va remplir le questionnaire ! Première question : quel sexe choisissez-vous pour votre bébé ? C’est simple. On veut un garçon.

— Une fille ! J’ai lu dans un magazine que si l’aîné d’une fratrie est une fille, la famille et plus stable.

— Ah ouais, bah regarde tes frères ! Tous divorcés, chômeurs, névrosés et ta mère est en dépression ! On aura d’abord un garçon.

— Une fille !

Kat soupire et fait mine de quitter la table. Fine mouche, elle joue à merveille la femme contrariée par le comportement volage de son partenaire.

— D’accord, on verra plus tard. Passons à la deuxième question. La couleur des yeux ?

— Bleu. Je rêve d’une petite fille blonde aux yeux bleus-marine.

— Tu veux un bébé tendance. Aujourd’hui, toutes les petites filles sont blondes aux yeux bleus-marine. Tu lui mets une taille de 1,78 m et elle ressemblera à tout le monde. Ajoute-lui des mains à six doigts. Kim, la star du rock, vient de lancer le concept. Ça va faire fureur.

Kat arrête de respirer. En la voyant, un homme fragile pourrait se laisser impressionner. Mais, à force de manger des criquets, Rik s’est forgé une belle carapace.

— Deuxième question : Quels sont les gènes à risques que vous voulez éliminer ?, ajoute-il. Acariapisose… Alzheimer… Acné…

— Coche-les toutes ! On veut le meilleur pour notre future Suzie !

— Hop hop hop ! Cela coûte cher la chirurgie génomique ! Plus cher encore que la chirurgie esthétique. On n’a pas les moyens de s’offrir le pack bébé parfait. Il faut choisir et lui laisser quelques tares.

Kat aime assez la perfection pour détester ce qui s’en approche. Comprendre qu’elle ne peut pas se l’offrir lui fait avaler un criquet de travers.

— Mets la calvitie, dit-elle en toussant. Les filles sont rarement chauves. Au pire, il y a des perruques de cellules souches.

— Je vais plutôt cocher la maladie d’Alzheimer.

— Tu es malade ! C’est une grave maladie.

— C’est une maladie de vieux. Quand bébé aura l’âge de l’attraper, ils auront trouvé les moyens de la soigner.

— Non, laisse-lui les cancers. Maintenant, ils les guérissent tous.

— Attention, quand les assurances verront son test ADN, ils vont lui coller un malus et cela sera pour notre pomme !… La Tourette ! C’est marrant comme maladie ? On lui met ?

Ce marchandage génétique agace prodigieusement Kat qui lance un regard revolver à son compagnon. Rik baisse la tête pour éviter une balle.

— Pour le QI, tu veux celui d’Einstein !

— Pourquoi pas !

— Tu n’as pas peur que ton fils te prennent pour une demeurée.

Là, Kat ayant une vraie raison de prendre la mouche, elle la prend. Enfin, pas facile, depuis que les mouches sont cuisinées par les grands chefs, elles se font de plus en plus rares.

— Tu commences à me chauffer. Tout compte fait, je vais faire un enfant avec un spermatozoïde préfiguré. Cela sera toujours mieux qu’avec toi.

Rik se lève, va chercher son assiette de criquets, la repousse … Ouvre le réfrigérateur, prend un pot de cafards, broie du noir. Bref, il fait assez n’importe quoi pour montrer qu’il est troublé.

— Kat, Kat ! C’était pour rire. Tu n’es pas une demeurée. J’ai une idée. On va faire un enfant, là maintenant. Il sera bio, 100 % naturel. Elevé au grain, il aura tous nos défauts !

— Ok, si c’est une fille.

— Je crois que cela sera un garçon.

— Une fille.

— Un garçon

Garçon, fille, garçon fille… Les mots sont jetés dans la pièce pour retomber sur le lit où le couple atterrit. Manque de chance, une pluie de sauterelles, mouches criquets traverse à ce moment la pièce et nous empêche de savoir qui a le dernier mot.