Mesdames et Messieurs les éditeurs, innover ou mourir, vous n’avez plus le choix. Si vous persistez dans votre immobilisme, à l’instar des grenouilles, vous allez être très prochainement victimes des bouillonnements du numérique.

Cette lettre est en noir et en innovations : en noir (assez noir) avec cinq justificatifs de votre mort annoncée ; en innovations (plus ou moins colorées) avec cinq pistes pour vous donner envie d’y croire.

Le 13 février, Libération racontait l’histoire de Tibault Baka un jeune homme qui s’est passé des maisons d’éditons pour publier et gagner sa vie avec un roman sur fond de banlieue. Dans peu de temps, ces aventures deviendront la norme si, vous, les maisons d’édition, vous continuez à vous comporter comme de vulgaires batraciens.

Plonger une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, l’animal aura une réaction réflexe pour tenter de sortir de cet enfer. En revanche, mettez-la dans l’eau froide et faites chauffer la casserole, elle ne réagira pas et finira par périr.

Chers éditeurs, malgré tout le respect que nous vous devons pour avoir contribué à la construction de notre patrimoine culturel, nous sommes de plus en plus nombreux à avoir l’impression que vous nagez dans les mêmes mares que les grenouilles. Les signaux indiquant le réchauffement climatique dans votre secteur se multiplient et vous ne réagissez pas.

Cinq ont particulièrement retenu notre attention :

1. Le mépris des auteurs

Ou comment repousser les talents.

Depuis quelques lustres, vous avez réussi l’incroyable prouesse de faire croire aux auteurs que vous leur faites une fleur lorsque vous publiez leur livre. Pour entériner ce stratagème qui vise à diminuer leur niveau d’exigence, vous êtes d’une redoutable habileté. La preuve, peu le décèlent et vous renvoient dans vos buts en remettant les choses à leur place. Oui, soyons clairs, ce sont les auteurs qui vous font un cadeau en vous permettant de remplir votre tiroir-caisse et non l’inverse.

Pour que les auteurs croient à votre bluette, vous ne lésinez pas sur les moyens. Vous avez été jusqu’à institutionnaliser une logique de mépris.

Elle apparaît dès les premiers temps de la relation en les obligeant à financer l’envoi de leurs manuscrits. D’autres raisons justifient-elles que, dans un bel élan corporatiste, vous refusez de recevoir les textes par mail ?

Dans un deuxième temps, vous signifiez votre refus en envoyant à l’auteur une lettre standard dénuée d’humanité et d’intelligence. (NB : les cas où vous avez retenu un manuscrit envoyé par la poste étant si rares, qu’on peut considérer que ce sont des exceptions qui confirment la règle). Cette missive les atteindra en plein ego. Nombreux auteurs en seront affectés. Cerise sur le gâteau du mépris, certains d’entre vous demandent aux auteurs de payer pour récupérer leur travail !

Si manquer de considération à l’égard de ceux qui sont votre source de profit est un comportement étrange, vous ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Vous avez ensuite une politique de rémunération on ne peut plus discutable, car non basée sur le temps ou la qualité de travail, mais sur une supposée notoriété. Cette pratique empêche les auteurs de se professionnaliser. Même les plus talentueux, ceux qui demain pourront faire votre succès ne vous donneront pas le meilleur d’eux-mêmes, car ils devront gagner leur vie ailleurs.

Comme toutes les mythologies, celle du passage obligé par les éditeurs traditionnels, va prendre fin. Si aujourd’hui, vous recevez encore de nombreux manuscrits, attendez-vous à ce que cela change. Les auteurs ne vont pas tarder à comprendre que, avec les éditeurs et librairies en ligne et les réseaux sociaux, ils peuvent se passer de vous. Ils y gagneront même tant en notoriété que financièrement. Vous deviendrez alors des éditeurs sans auteurs. Rassurez-vous, vous pourrez avoir recours aux machines à créer des textes qui auront l’ultime avantage de ne pas s’offusquer quand elle recevra une lettre stéréotypée de lecture de texte !

2. La dégradation de votre fonds de commerce

Quand des barils de livres lessivent votre crédibilité.

Vous vous inquiétez. Vos caisses étant moins pleines, votre embarcation est moins solide. On pourrait imaginer que vous allez partir à la chasse de jeunes marins de l’écriture pour la remettre à flot. Avec leur dynamisme et leur fraîcheur, ils vont vous aider à colmater les brèches. Non, là encore, vous faites le choix étonnant d’éloigner les nouveaux talents comme en témoigne les chiffres : depuis 2006, le nombre de premiers romans publiés ne cesse de diminuer. En sept années, la chute est de plus de 40 % !

Calculette à la main, vous avez déterminé qu’un premier roman se vend en moyenne 700 exemplaires, donc en dessous de votre seuil de rentabilité. Craignant de perdre quelques cacahuètes supplémentaires, vous refusez donc de plus en plus de prendre le risque du succès.

Au lieu de cela, vous vous cantonnez dans l’édition qu’on pourrait appeler le livre-baril en analogie avec le baril de lessive.

Le livre-baril est une valeur commerciale sûre : lorsque vous l’éditez, vous avez la garantie que vous n’allez pas perdre d’argent. En prime, vous pouvez tant espérer en gagner un peu que rêver au jackpot.

Pour créer le livre-baril, vous sortez les recettes éculées de l’édition et en particulier celle de la biographie de la vedette. Deux cents pages de propos insipides et vides d’une célébrité font désormais vibrer l’âme du marketeux que vous êtes devenu. Vous vous tournez vers l’étranger et importez de la camelote à succès. En résumé, qu’importe la qualité littéraire d’un livre-baril, votre calculette est désormais aux manettes.

Et l’éditeur que vous prétendez encore être ne se fait pas de souci. Dans vos services, vous avez quelques génies du maquillage littéraire. Ils (et plus souvent elles) travailleront souvent des heures durant pour que le produit fasse bonne figure.

Mais vos rafistolages ont du plus en plus de mal à convaincre. Allez sur les blogs des aficionados des livres, traînez vos guêtres dans les bonnes librairies, vous constaterez que ces livres écrits avec des moufles et un cerveau congelé et édités par des grandes maisons d’édition commencent à en agacer plus d’un. Même s’il n’y a pas de précédent en matière de boycott d’une maison d’édition, cela risque d’arriver si la qualité de vos ouvrages continue à diminuer.

3. Un produit congelé

L’accouchement laborieux de livres mort-nés

Dans un monde où tout va public, où les frontières s’estompent, les temps se raccourcissent, le circuit de fabrication d’un livre est de plus en plus long et besogneux.

Quand un manuscrit entre dans votre tuyauterie, il passe de service en service pour être validé, revalidé avant d’être imprimé et diffusé. Là, il faudra trouver une fenêtre de tir en dehors des prix littéraires, des coffrets de Noël, des romans de plage… Résultat, il faudra souvent attendre plus d’un an avant qu’un livre arrive sur les étalages des librairies.

Ces délais en font un produit froid, voire pire mort-né. Les auteurs ayant pris de la distance par rapport à leur production, ils en parlent de manière déshumanisée, voire glaciale. Ils n’ont plus l’enthousiasme nécessaire pour donner envie d’investir dans la lecture. Cette morosité commerciale ambiante fait que le livre passe vite aux oubliettes. Les lecteurs n’ont pas le temps de le découvrir qu’il est déjà mis au pilon.

Cette inertie va-t-elle aussi finir par lasser des auteurs. Au lieu d’attendre, d’espérer, ils opteront pour une solution alternative type Lulu (www.lulu.com) qui permettra à leur livre d’être en moins d’une semaine, présent sur Amazon. En prime, des révisions pouvant être effectuées, cette alternative leur permettra de faire évoluer leur travail en fonction des commentaires des lecteurs.

4. Un circuit figé

Ou l’art d’exclure toutes formes d’innovation 

Les Propulseurs ont proposé un projet autour d’un sujet d’actualité : le cancer. Une célèbre maison d’édition a été emballée par le roman. Souci, le projet n’était pas d’éditer un roman sur le sujet, mais d’utiliser la fiction pour recueillir des réflexions des acteurs de la maladie. L’idée était de créer un livre augmenté des réflexions des personnes concernées. L’éditrice ennuyée a mâchonné son crayon avant de dire : « Je regrette. Je comprends l’intérêt du projet, mais nous ne pouvons pas l’éditer. Les représentants ne sauront pas s’ils doivent mettre le livre au rayon roman ou dans les documents société ».

Cette anecdote symbolise votre manière d’imaginer la diffusion d’un produit. Vous ne pensez qu’en fonction de l’existant et en particulier de la manière de fonctionner de vos représentants. S’ils ne peuvent pas vendre un livre à chef de rayon d’une librairie, vous ne pouvez pas l’éditer. Un principe qui exclut tous les livres hybrides, métissés, innovants. Un auteur génial qui imaginerait un roman une entrée pour enfants et une autre pour adulte serait renvoyé dans ses buts.

Avec le débarquement des librairies en ligne et les difficultés des grandes librairies, la manière d’acheter des livres évolue. Bizarrement, cela n’a aucune incidence dans votre manière de penser. À ce train, on est en droit de se demander, si demain, vous ne continuerez à penser vos choix éditoriaux en fonction de représentants qui n’existeront plus.

5. La défiance à l’égard de la technologie

Ou l’art de rĂ©sister aux changements

Toutes évolutions génèrent des résistances. Il a par exemple fallu 35 ans avant que l’imprimerie arrive en France. Sans doute par respect pour vos ancêtres, vous considérez la technologie comme un tueur en série. Elle tue le livre et dans l’élan les éditeurs que vous voulez continuer à être. Même si vous accordez à la numérisation quelques bienfaits comme celle de limiter les déforestations massives et permettre d’alléger les sacs, rien pour vous ne remplacera l’odeur du livre et le bruit de la page qu’on tourne.

A chacun ses nostalgies et ses erreurs d’appréciation, mais les vôtres ne sont pas sans conséquence. Vous faites le passage à la numérisation avec des sabots de plomb. Vu votre défiance envers la technologie, vous avez engagé des techniciens médiocres, voire vraiment incompétents qui confortent vos préjugés en vous faisant croire que la création de livres numériques est longue, fastidieuse, onéreuse.

En fonction de ces données délirantes, vous ressortez votre règle à calcul et annoncez qu’un livre numérique sera vendu quasi au même prix que la version traditionnelle. Ensuite, vous avez l’outrecuidance de déplorer les ventes confidentielles des livres numériques. Si l’on vous précise que toutes les études s’accordent sur le fait que les lecteurs sont prêts à payer 7 euros pour une version numérique et non le double, vous soupirez et ressortez la contrainte du prix unique du livre.

Question technologie, vous vous arrĂŞtez lĂ . Vous laissez les nouveaux venus expĂ©rimenter le livre augmentĂ© de commentaires, d’images ou de sons, les dispositifs d’annotations ou de liens avec les rĂ©seaux sociaux…

Vous pensez qu’à un moment, s’il le faut vraiment, vous y viendrez. Sauf que le train roulera à une telle allure que vous ne pourrez pas monter de dedans.

Partie 2… De la critique Ă  la recherche d’innovations